Viens et Regarde de Elem Klimov
CRITIQUE ANCIENS FILMS
Ethel Bouleux
9/20/20254 min read
Au coeur de la Biélorussie de 1943, le jeune Fliora rêve de la guerre. Obnubilé par les armes et leurs soldats dévoués, tout lui semble être un jeu pour adulte en grande dimension. C’est d’abord avec honneur qu’il rejoint le rang de la nation. Mais au fur et à mesure, fatalement, la réalité le rattrape. Car c’est un temps qui ne laisse personne indemne, qui arrache, sépare, meurtris et détruis tout. C’est le début de la fin pour ce jeune homme, sa famille et son village, sous le joug des nazis. Cette Seconde Guerre Mondiale devient la scène du grand spectacle de Elem Klimov, considéré comme l’un des plus grands films de guerre de tous les temps.
Dans les yeux et l’esprit du réalisateur biélorusse s’imprime ces images alors qu’il est âgé de 9 ans lorsque Stalingrad explose en furie. L’anéantissement d’une vie. C’est à Alekseï Kravtchenko (Fliora), 36 ans après, qu’il confie l’immense responsabilité de raconter le passé. Après 7 ans de censure par le comité soviétique, Tuer Hitler d’une horreur époustouflante éclot finalement au grand public sous le titre Viens et regarde.
C’est une lente agonie. Le spectateur et Fliora découvrent ensemble chaque pan de la guerre. Nous constatons amèrement la bêtise des hommes, à travers un naturalisme sans pareil. De vrais obus et balles sont tirés à côté des acteurs qui manquent de se noyer dans une boue qui leur remonte jusqu’au cou. Un tournage qui s’est voulu si proche de la réalité qu’il nous offre une scène dramatique d’une vache fusillée de tous les flancs alors que le jeune acteur tente de se protéger derrière elle, presque écrasé. Si la guerre à perpétré mille malheurs, les voici tous réunis en 2h23.
Concrètement ce film c’est quoi ? Des plans séquences très longs au steadicam, ultra immersifs. Des échelles qui varient mais qui privilégient les gros plans en regard caméra et les plans larges. L’un pour nous coller face à Fliora vieillissant d’année en année jour après jour, et l’autre pour nous poster comme spectateur omniscient, cette fois-ci face à l’atrocité objective des scènes. Il n’y a aucune superficialité dans les plans, ce sont des lumières naturelles qui parfois ne correspondent pas de l’une à l’autre. Ce sont des plans qui ont justement une esthétique un peu sale et parfois même d’un ton vert/jaune un peu kitch. Ceci à l’exception de quelques uns qui dépeignent une belle poésie, notamment au début du film lorsque un arc en ciel se forme aux cotés de la belle Glasha.
Requiem par un massacre - son titre français - est choisi suite au Lacrimosa de Mozart qui surplombe la fin du film avec brio, comme une dernière prière pour tous les morts de cette guerre. C’est d’ailleurs une séquence d’images d’archives minutieusement montée par ordre antéchronologique s’impose à la fin du film.


Viens et regarde nous empêche de bouger un orteil, de respirer ne serait-ce qu’une bouffée d’air frais. Armée de sa meilleure botte, le montage alterné, il nous assaille de gros plans sur Fliora. Fliora dont les grand yeux bleus nous transpercent jusqu’à l’âme. Ceux qui se ternissent et teintent son visage de grand cernes noirs, jusqu’à le retrouver couvert d’une deuxième peau. Couvert de chagrin, dénué d’innocence, harassé de la vie qui ne lui a pourtant pas enlevé son humanité. Tous ceux qui figurent sont des paysans locaux, y compris l’acteur de Fliora, ce qui accru cette sensation d’hyperréalisme. Le réalisateur confie avoir cherché un garçon de 14 ans dont l’horreur marquerait véritablement la rétine, sans la protection psychologique qu’aurait un acteur confirmé.
Il avouera plus tard que l’une des dernière scène « l’a presque rendu fou » et on veut bien le croire, car nous aussi, on perd la tête. Et ce jusqu’à cette dernière épreuve, fastidieuse, éprouvante, viscérale. C’est précisément cette séquence qui met la dernière claque, qui ouvre la bouche et sèche les yeux qui ne clignent plus. Là encore, de vrais villageois, principalement des femmes et des enfants, des plans à rallonge sans pause, pleins de scènettes écoeurantes parmi une immense foule.




Il faut s’accrocher, tenir très fort ses tripes et son coeur. Et surtout, il faut savoir que la plupart est ‘pour de faux’ mais a bel et bien existé, quelque part dans la Biélorussie humide mais aussi en France et ailleurs.
Viens et Regarde c’est un devoir de mémoire. C’est une critique ouverte pour prévenir de ce que la haine inflige et de ce que les hommes oublient. Mais par dessus tout, la fin de l’oeuvre nous invite à reconsidérer toutes ces images en une conclusion : la nécessité d’aimer et de reconstruire. Un véritable chef d’oeuvre du 20ème siècle qu’il faut trouver le courage de regarder, et ce avec toute son âme.
Ethel Bouleux

