Trois amies d'Emmanuel Mouret
CRITIQUE NOUVEAUTÉS
Martin Cadot
10/31/20243 min read
Restant fidèle à son style tout en y apportant une touche de nouveauté, Emmanuel Mouret nous invite une fois de plus à réfléchir sur l'amour, les sentiments et le désir. Dans « Trois amies », il ne s'agit pas de rechercher une vérité absolue, mais plutôt d'explorer diverses perspectives sur l’amour, chaque histoire ayant sa propre manière de s’inscrire dans le récit. L’amitié, qui semble être le thème central du film en raison du titre, s’efface progressivement pour laisser place à une quête plus profonde : celle de l’amour. Les trois femmes, amies et professeures, cherchent à être aimées autrement que par les liens amicaux qu'elles partagent déjà. Elles se tournent vers l’amour romantique, avec des hommes eux-mêmes pris dans le tourbillon complexe du désir.
Comment peut-on savoir si l'on est vraiment désiré, aimé? Comment être certain de la sincérité de ses propres sentiments, et de ceux de l'autre? C'est cette complexité qu’Emmanuel Mouret explore avec finesse dans son nouveau film, offrant une vision singulière et un regard attentif sur les rencontres, et plus largement, sur ce que nous sommes en tant qu'individus.
Et si toute cette histoire était narrée par un personnage fantôme, l’absent dans la vie de Joan (incarnée par India Hair), un homme dont la femme n’est plus « amoureuse » ? Sa voix off, sans en faire trop mais en détaillant peut-être plus que nécessaire, décrirait ce qui se déroule à l’écran. Cela pourrait paraître anodin, mais c’est justement cette étrangeté de l’amour que cela révèle, et que Vincent Macaigne parvient à capturer avec justesse à travers ses mots.
Aimer : un mot à la fois trop puissant et pourtant si simple. Être aimé, croire qu'on l'est. Aimer, penser qu'on ne l'est plus. C’est dans ces nuances que se tissent les liens entre Alice, Joan, Rebecca et leurs amants, chacun pris dans cette toile complexe de désir et d'émotions.
Pour Mouret, tout repose sur les rencontres. Une rencontre peut non seulement bouleverser une vie, mais aussi transformer notre manière de ressentir le désir ou son absence, et de percevoir les émotions qui circulent entre les individus. Parfois, s’accrocher à un amour défunt ne conduit qu'à la désillusion, à la reconstruction d'une illusion. D’autres fois, l’amour est absent, mais on fait semblant, se racontant des histoires jusqu’à ce qu’on comprenne que cet amour devait renaître sous une forme différente. C’est ce qu’expérimentent Eric (Grégoire Ludig) et Alice (Camille Cottin), qui doivent regarder ailleurs pour comprendre que leur amour, bien que transformé, existe bel et bien.
Le film met également en lumière ces relations éphémères, ces amours passagers qui nourrissent l’illusion d’un avenir ensemble, ou qui ouvrent la voie à d’autres rencontres. Rien n'est linéaire, nous dit Mouret. Chaque relation mène à une autre, et forcer les choses ne fait qu'engendrer du désespoir, à moins d'accepter de laisser le destin suivre son cours.
Les cadres, toujours proches des personnages, les enferment d’abord ensemble, car leur force et leur cohésion résident dans cette proximité. Puis, la caméra s'attarde sur les silences, sur l'impact des paroles de l'un dans la tête de l'autre, capturant ce qui reste non-dit. Les dialogues sont la signature de Mouret : c’est par les mots que les rencontres se font, que les liens se tissent. La mise en scène, si habile et réfléchie, se fait parfois oublier tant elle paraît naturelle, et c’est justement cette subtilité qui devient l'essence du film. Le cinéma de Mouret agit comme un miroir des relations humaines, un cinéma de la justesse.
La musique, presque envoûtante, rappelle au spectateur que malgré le poids des mots, l'imaginaire ne doit pas être négligé. Elle accompagne les personnages avec douceur, exprimant par ses mélodies ce que les mots peinent parfois à dire. Les notes de guitare ou de piano viennent murmurer à l'oreille la tendresse, la solitude et la douleur silencieuse de ces êtres en quête de réponses.
Enfin, bien que le désir amoureux soit empreint d’égoïsme, de cette volonté de trahir ses amis pour répondre à ses propres besoins, la raison finit par l’emporter. Les situations, aussi complexes soient-elles, restent éphémères et permettent à l’amitié de reprendre son rôle premier : un lien plus durable et solide que l’amour amoureux.
Martin Cadot





