SINNERS : Ayez de la haine pour le péché et de l’amour pour le pécheur

CRITIQUE NOUVEAUTÉS

Baptiste Brocvielle

4/19/20252 min read

Il m’est hélas difficile d’éprouver ne serait-ce que de la sympathie pour Sinners, réalisé par Ryan Coogler. Pourtant le projet, porté par un cinéaste dont la culture afro- américaine est le leitmotiv filmographique, avait de quoi intriguer. Exit la science-fiction de Black Panther, bienvenue dans les États-Unis de la Grande Dépression, où le blues y est l’unique lueur de bonheur d’une population noire ségréguée. L’originalité du récit tient en un mot : vampire. Les tueurs du Ku Klux Klan n’y sont en effet que plus assoiffés d’un sang devenu nutriment. Au diable la subtilité alors, l’expérience doit être cathartique pour tout un peuple (un certain Tarantino comme lointain modèle). Au feu le puritanisme américain, les pulsions sexuelles jamais dissimulées s’entremêlent à leurs jumelles meurtrières.

À l’épicentre de ce déchaînement de passion se trouve l’art fétiche du Malin : la musique. C’est bien le blues qui ose déterrer le triton, cet accord jadis surnommé « Diabolus in musica ». Si cet affront ne manque pas d’attirer les démons, la mélodie qui retentit cristallise une liberté éphémère, traversant le temps pour demeurer jouissance. Or, quand il n’y a plus de limites, le péché s’invite.

Ryan Coogler veut tellement en faire, en dire, en montrer dans ce film dont il a pour la première fois le total contrôle qu’il se perd dans son propre dédale d’intentions. Michael B. Jordan, sûrement insatisfait de n’être « que » le choix systématique de son réalisateur, s’offre un double rôle de jumeaux relevant davantage du caprice de comédien – et d’orgueilleux technicien – que d’une quelconque plus-value scénaristique. L’action brutale et jouissive survendue n’arrive qu’aux deux tiers d’un récit qui s’embourbe dans l’exposition des préparatifs de l’ouverture d’une barrel house. Quand elle survient, elle déçoit par sa durée, sa réalisation et son intensité. Les seuls moments de grâce apparaissent quand résonnent les cordes d’une guitare. Une mise en scène inspirée se déploie au service d’un discours pertinent sur cette culture si chère au réalisateur. On en vient à regretter que le pseudo film d’action n'ait pu muer en une comédie musicale au fantastique assumé.

Difficile de ne pas rapprocher Sinners de Get Out (Jordan Peele, 2017) en ce qu’ils utilisent tous deux le genre horrifique pour exacerber un racisme sous-jacent. Un succès public que Sinners devrait partager avec son aîné, notamment outre-Atlantique, où les spectateurs s’extasient déjà devant ce dernier-né de l’« elevated horror ». Il semble que ce cinéma moderne, dont la médiocrité – volontiers camouflée par l’IMAX – est systématiquement justifiée par un discours politique qualifié d’important, plaît à tout un pan du public se complaisant à consommer un divertissement faussement intelligent.

© Warner Bros

Baptiste Brocvielle