Sidonie au Japon : entretien avec un fantôme
CRITIQUE ANCIENS FILMS
Thomas Cordet
1/12/20253 min read
Croyez-vous aux fantômes ? D’après l’IFOP en 2023, c’est le cas de 24% des français ! Mais attention, je ne parle pas de Casper, de SOS Fantômes ni des esprits malveillants de Conjuring ou autres Pas très normales activités. Je parle plutôt de ceux qui peuplent notre quotidien dans la plus grande discrétion. Personne ne sait ce qui se passe après la mort, même si la recherche scientifique et les recueils de témoignages d’expériences de mort imminente laissent songeurs. Notre esprit humain, armé de sa conscience, son amour et son imagination, ne peut s’empêcher de combler cette grande incertitude à l’aide des liens créés avec ceux qu’on aime. Mais les fantômes seraient-ils présents sans les vivants ? Ne vivent-ils pas uniquement à travers nous, âmes en peine au cœur battant ? Ce sujet philosophique est celui de Sidonie au Japon, intelligemment mis en scène pour nous plonger dans ces réflexions existentielles.
Dès le départ, la caméra se place en spectateur lointain, détaché. Des plans larges, fixes, désaxés, qui montrent à première vue les personnages dans un monde qui semble trop grand pour eux, mais comme le choix a été fait de vider les rues, les gares et les aéroports de ces métropoles japonaises (il y a très peu de figurants), c'est donc la solitude de Sidonie qui est accentuée. Accompagnée de son mystérieux éditeur, son errance rappelle Lost in Translation, passant d'hôtel en hôtel, résignée. C'est un personnage morose, rongé par la mort et le deuil. Ce voyage au Japon, c'est son processus d'acceptation.
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Isabelle Huppert, on aime ou on aime pas, mais ici, son jeu caractéristique est parfaitement adapté au récit. Par moments, on dirait honnêtement qu'elle joue mal, il n'y a presque pas d'interprétation, les dialogues sont récités comme du par cœur... mais ça marche très bien avec l'atmosphère et le propos de Sidonie au Japon ! Le film lui-même donne l'impression d'être récité avec ce détachement caractéristique du monde du spirituel, de l'au-delà. La caméra n'est qu'une présence fantomatique, observatrice, mais sans jugement. Ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? Si je vous dis Weerasethakul, par exemple ? Ces ambiances planantes et suspendues où l’on perd toute notion du temps, pour brouiller les frontières entre le monde des vivants et des morts… Si les plans d'Élise Girard prenaient un peu plus leur temps pour s'imprimer sur nos rétines, on aurait vraiment l'impression de voir le réalisateur thailandais à l'œuvre.
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La thématique du deuil et des esprits me touche quand elle est traitée avec tant de sérénité et de bienveillance, sans parler de cette photographie qui m'a séduit dès les premières minutes. Un mélange de Perfect Days dans le ton et de Pulse dans le sujet. Ce style peut tout à fait sembler soporifique pour certains, et ça se comprend : Sidonie au Japon est une œuvre qui touche aux sensibilités, à la poésie, peut-être même au vécu de chacun. C’est un tout ou rien. Mais il y a une véritable vision artistique derrière la caméra, une volonté de créer un haïku à chaque nouveau plan. Ce film provoque le questionnement, la curiosité, et surtout encourage à réfléchir sur la mort en prenant du recul. C'est doux, rassurant, comme les daims de Nara ou les cerisiers de Kyoto. Un voyage métaphysique apaisant, surprenant et unique.
Thomas Cordet





