Out-Takes from the Life of a Happy Man; L'archive ou l'ontologie des images de Jonas Mekas
CRITIQUE ANCIENS FILMS
Thomas Lignereux Ocana
11/7/20242 min read
Qu'est-ce qui nous plaît tant dans les images d'archives ? Revoir ses parents jeunes, s'y voir bébé, enfant, pataud, déterrer de notre mémoire certains moments de vie oubliés et oubliables.
L'archive est, par principe, quand elle n'est pas de valeur historique, une affaire d'intimité. Égoïstement, voir celle des autres serait, au pire, rébarbatif ou quasi voyeuriste, au mieux divertissant.
Chez Jonas MEKAS dans son film Out-Takes from the Life of a Happy Man toute cette perception est redéfinie, la valeur ontologique des images est altérée.
Les images, particulièrement de cinéma, cherchent à imprimer le réel, tout en passant par certains degrés d'artificialité dans la représentation. Ici, il n'est même plus question de fausseté, la porosité entre les mondes est purement annihilée; on aurait presque tendance, dans un élan de regardeur stéréotypé, à tenter, en vain, de repérer la construction artificielle, les éléments qui dénoteraient d'un récit cinématographique conventionnel. Le montage n'en est plus, mais est un agencement abrupt et organique d'instants de vie désorganisés, comme notre mémoire peut le faire. Dans cette démarche d'épure absolue, Mekas n'oublie pas d'apparaître lui-même, ramenant le réel à la dimension du cinéma, celle du faiseur faisant, de l'artiste dans son atelier, ici assez rudimentaire.
Les strates de réel s'accumulent et coexistent à la manière d'entrelacs pour densifier la vie. Celle-ci se déroule et les temporalités se mêlent, sans hiérarchisation aucune, ce qui est filmé était mais n'est plus, et l'artiste dans son atelier, au sein de ce présent diégétique fugace, n'est plus non plus. Ils sont tous deux signes du passé et vivent alors ensemble comme témoins d'un passage.
L'archive prend donc ici, par métonymie et intimisme, les traits du Cinéma lui-même, dans son historicité et sa noble capacité à incarner la vie, et donc de faire Art.
Il n'est même plus question de fiction ou de documentaire, seul reste le rapport au réel.
Comment travailler la matière brute (argentique, physiquement sensible) pour en faire une entité sensorielle et émotionnelle, transfigurer le quotidien, de facto trivial, en sublimant chaque instant tout en les noyant dans un maelström visuel, et donnant son sens à chaque fragment en ce qu'ils représentent l'inconstance de la vie. Dans Le garçu, Maurice PIALAT déploie en ce sens, par le montage, une forme sensiblement analogue, se muant ainsi en film-archive, où domine une «anarration», démantelant la fictionnalité au profit de la pure expérience sensible, crue et arbitraire du réel. Sans tomber dans l'analogie simpliste il semble important de voir le défilement, initial et final, de la pellicule sur le banc de montage, comme n'étant qu'une strate en plus du défilement perpétuel, des souvenirs, de la vie, en un battement de cils, réfutant toute idée substantielle de présent.
Alors, l'image se dresse, et, dans un élan salvateur, restitue pour nous et nos sens ce présent flottant qui nous échappe.
Thomas Lignereux Ocana



