MAESTRO (Bradley Cooper)

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Demetrio Speranza

10/23/20243 min read

Après le succès retentissant de son premier long-métrage A Star is Born, Bradley Cooper revient derrière et devant la caméra. C’est sur la plateforme Netflix - ou pour les chanceux, sur grand écran à la Mostra - que le réalisateur et acteur américain fait son retour. Projet longtemps lié à de grands noms comme Martin Scorsese ou Steven Spielberg (qui finiront producteurs du film), Maestro est un biopic sur la vie de Léonard Bernstein et de sa relation avec son épouse, l’actrice Felicia Montealegre.

Si ce projet sonne comme une évidence outre-Atlantique, c’est loin d’être le cas chez nous. Leonard Bernstein est un compositeur, chef d'orchestre et pianiste américain fils d’immigrés juifs ukrainiens. Cherchant à s’émanciper d’un certain académisme, il acquiert rapidement une grande réputation de par son caractère enthousiaste et ses idées révolutionnaires. Il écrit notamment la partition de West Side Story, monument de la comédie musicale américaine, tandis qu’il dirige de nombreux orchestres prestigieux.




Cependant, Bradley Cooper décide de ne pas faire le simple récit du parcours fulgurant de son protagoniste. En effet, dans Maestro, il est bien plus question de l’homme que du compositeur. Plus particulièrement, de sa relation à sa femme Felicia et de son rapport à la musique. Si cet angle peut sembler contradictoire avec la forme du film biographique, Cooper évite alors le piège de la forme esseulée du biopic américain de ces dernières années.


De ce fait, Maestro est un biopic qui resserre son sujet sur l’humain, (d’où l’utilisation fréquente de plans taille, mais toujours innovants). Comprendre Leonard Bernstein c’est avant tout comprendre la passion qui l’anime, la musique. « Tu as reçu un don » lui dit Felicia. Néanmoins, ce don Lenny le ressent bien plus comme un fardeau. Il trouve bien plus de réconfort dans sa relation aux autres, primordiale dans sa vie, que dans sa pratique de la musique qu’il ressent physiquement comme une douleur épuisante. Chez Cooper, être artiste c’est inévitablement souffrir.

Car si la relation du compositeur avec sa femme est le point central du récit, c’est bien parce qu’elle est indispensable pour tenter de saisir la personnalité complexe de son protagoniste. Bernstein, au-delà du génial compositeur, était un homme prisé de la scène médiatique américaine. Toujours en train de séduire un auditorat, un public télévisé, des élèves, Bernstein délaisse le foyer familial pour s’épanouir dans d’autres relations. Et c’est ce rapport à l’altérité que tente d’explorer Bradley Cooper. A la fois dans son interprétation, pleine de douceur, et sa mise en scène précise. Il faut aussi saluer la présence scénique époustouflante de Carey Mulligan, au jeu minéral saisissant.

Maestro est un mélodrame qui s’inscrit dans la lignée du classicisme hollywoodien. A Star is Born, quatrième remake d’un film culte de l’âge d’or hollywoodien partageait déjà cet aspect. De plus, l’on sent l’influence qu’a pu avoir la collaboration avec des réalisateurs comme Clint Eastwood (American Sniper, La Mule…), maître en la matière de la narration classique américaine. A noter qu’ici il s’en écarte quelque peu dans la forme : la mise en scène s’autorise beaucoup d’effets de style, comme lors de plans séquences sporadiques.




Et c’est là que paradoxalement se trouvent les limites du long-métrage. Dans une probable volonté de Cooper de prouver sa légitimité de cinéaste, le réalisateur-acteur veut en faire trop, notamment dans le balancement entre scènes en couleurs et noir et blanc et l’utilisation du maquillage et prothèses. Cooper veut à la fois signer un film intimiste poignant et un divertissement susceptible d’obtenir des récompenses (qu’il n’obtiendra d’ailleurs pas) que ce soit pour son interprétation ou sa technique.

Néanmoins Maestro demeure un film plaisant, à la plastique sublime, qui reste largement sous-estimé depuis sa sortie en fin 2022. L’ensemble est certes hétérogène, mais l’énergie promulguée par le film est sensationnelle et l’émotion est elle, tout sauf artificielle.


Copyright Jason McDonald/Netflix

Copyright Jason McDonald/Netflix