Licorice Pizza : L'amour chez Paul Thomas Anderson

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Thibault Jeanroy

10/1/20254 min read

Qu’un film de PTA tourne (pour la seconde fois) autour d’un amour naissant, d’un amour de jeunesse, n’a rien de surprenant. Bien que le film en lui-même soit très distant de ses précédents, le metteur en scène a toujours exploré ce sentiment avec frontalité.

Déjà dans son tout premier film, Double Mise sorti en 1996, John C. Reilly tombe sous le charme de Gwyneth Paltrow, mais leur relation est parsemée d’embûches. Ce même John C. Reilly tombe sous le charme de Melora Walters dans son troisième long-métrage devenu culte, Magnolia.

Et bien sûr son fantastique Punch Drunk Love avec Adam Sandler, qui s’éprend d’Emily Watson, une histoire d’amour là encore semée de multiples obstacles.

Anderson aime et sait filmer l’ambiguïté, l’amour qui surgit de l’intérieur, l’amour inavoué, l’amour timide, celui qui n’est pas encore concret. Puisque tout devient concret à la fin.

Licorice Pizza, l'amour repoussant

Néanmoins, avec Licorice Pizza, c’est différent. L’amour se présente brusquement. La révélation masculine, Cooper Hoffman, le fils du grand Philip (mascotte du réalisateur), interprète Gary Valentine, une jeune star du petit écran de 15 ans, qui ne tarde pas à user de sa confiance en lui pour essayer de séduire Alana, une photographe de 10 ans son aînée.

Bien entendu, si le garçon est très motivé, la jeune femme n’entend pas céder si facilement aux avances de Gary.

Un film sur l’amour, mais surtout sur la jeunesse, une génération déjà et autrement évoquée avec Boogie Nights, mais ici il choisit l’innocence.

L’innocence ou plutôt l’insolence, celle qui définit le personnage de Gary, un jeune homme qui insupporte à l’écran, autant le spectateur qu’Alana.

Anderson voudrait-il nous faire détester ce personnage ? Un peu trop fier et confiant pour un gamin de son âge. Ce dernier, sans la moindre intimidation, invitera son aînée à dîner, invitation qu’elle décline avec conviction, pour finalement se montrer en assurant à Gary qu’il ne s’agit pas d’un rencard.

Quel est finalement le but de tout ça ? Qu’on apprenne à détester ces deux héros qui eux-mêmes consomment un faux-jeu de sentiments refoulés.

L’adolescence... ou presque

Peut-on vraiment parler d’adolescence, puisque d’une manière ou d’une autre il ne s’agit pas vraiment de ça ? Gary a l’âge mais non l’esprit et la maturité d’un adolescent de 15 ans, quant à Alana, c’est évident. Et c’est bien là que se trouve le vrai propos du film : un amour peut-il exister en connaissance de cause ?

C’est cette question que pose P. Thomas Anderson, et ce n’est pas une problématique qui a beaucoup été creusée, ou en tout cas pas de cette façon-là. Et pour notre réalisateur, l’âge est un paramètre déterminant, lui qui a bien plus souvent filmé des protagonistes vieillissants (Daniel Day-Lewis, Phil Seymour Hoffman, John C. Reilly), ou bien des personnages avec une quarantaine bien appuyée.

Et pourtant, ici il bouleverse les codes de la jeunesse et fait planer un drôle de suspense. Une adulte sur la fin de sa vingtaine peut-elle finalement céder aux avances d’un garçon au potentiel séduisant, mais hélas trop jeune ? Mais avant d’apporter une réponse, il les embarque dans une panoplie d’aventures toutes plus amusantes et atypiques les unes que les autres, sans oublier de se rendre jaloux.

Parce que finalement l’amour, c’est ça : on se rencontre, quelque chose se produit, mais personne ne veut le voir ni l’assumer, et tout vient bien après. Licorice Pizza est un film-vérité qui bouleverse quelque peu l’idée de la comédie romantique, puisque c’en est une fausse. Une comédie très second degré avec un fond de vérité.

Finalement…

… Œuvre assez éloignée des autres, mais finalement pas tant que ça, simplement moins sombre et moins amère que ce qu’il a pu proposer avec There Will Be Blood par exemple, fresque mémorable dénuée d’espoir sur l’industrie pétrolière, mais dotée du meilleur de Daniel Day-Lewis.

Day-Lewis, dont la pudeur et la sévérité envers Vicky Krieps annoncent presque Licorice Pizza et la rivalité qui s’installe entre Cooper Hoffman et Alana Haim.

Un film qui s’ancre à la fois dans une réalité amère et une continuité logique de ce qu’a déjà écrit le réalisateur. Sauf que cette fois, il emploie l’humour et la candeur. Deux sentiments assez introuvables dans la filmographie du monsieur, excepté Punch Drunk Love qui amène le sourire.

Tel un intrus, Licorice Pizza change la donne, fait se rencontrer humour et réalité, et permet à PTA de donner une certaine fraîcheur à son cinéma, ainsi que la lumière qui lui manquait cruellement.

Thibault Jeanroy