Les Reines du drame d’Alexis Langlois : premier long queer, pop, déjà culte
CRITIQUE NOUVEAUTÉS
Claire Jean
7/8/20253 min read


En 2024, le cinéma queer s’est placé dans l’héritage pailleté des fictions camp, ridicules et excessives que ses spectateurs ont consommé enfants. Dans Les Reines du drame, premier long d’Alexis Langlois il est impossible de ne pas reconnaitre l’esthétique Disney Channel saturée. Les chambres des héroïnes, Billie et Mimi, sont surchargées de couleurs, de miroirs, de vêtements. Ce style est une manière de raconter le monde. À travers cette histoire d’amour destructrice entre deux chanteuses lesbiennes, Mimi Madamour (Louiza Aura) et Billie Kohler (Gio Ventura), Langlois réinvente la romance queer pop. Mimi est la bourgeoise, prototype de la pop star, tandis que Billie est la crasseuse, butch punk radicale recalée du télécrochet auxquelles elles sont toutes deux candidates. Le film ne distingue pas leur nom de scène de leur réelle identité. “Sur scène, tout est faux”. Le faux est ici matière du vrai.
Se déployant en trois périodes, 2005, 2015, et 2055, Les Reines du drame construit sa narration autour de cette relation toxique sublime, entre ruptures, retrouvailles, radicalité politique et marchandisation. Le récit est mené par Steevyshady (Bilal Hassani), YouTubeur stalker jadis faiseur de pluie et de Botox sur l’industrie musicale, obsédé par les deux chanteuses. Cette voix off trop présente, mais intéressante car faisant passer le style storytime internet pour un conte, gêne en parasitant la dynamique du duo Billie-Mimi. Steevy n’a pas la légitimité affective que le film lui attribue. Mais il participe à ce que le film tente de construire : une hybridation entre fiction, mythe pop, réseaux sociaux.
Esthétiquement, le film est une bombe de paillette. Les références à De Palma, à Bernard Herrmann, à Carrie, Body Double, Phantom of the Paradise, sont assumées. Langlois utilise ces outils pour construire un langage plastique d’un cinéma queer français ultra-maniériste partagé avec Mandico, Gonzalez ou le duo Poggi/Vinel. D’autres hommages apparaissent : à Blue Velvet, à Boulevard du crépuscule, à Speed Racer. Ce mélange de styles, de genres, de textures, donne au film une ampleur visuelle, un romantisme pop saturé, assumé, difforme.


Langlois réalise un film cinéphile mais aussi plongeant dans les cultures populaires et marginales, avec une boulimie visuelle qui englobe les réseaux sociaux, les esthétiques Y2K, les shows drag, la télé-réalité des années 2000. On pense à Popstars, à Lorie, à Britney Spears. Ces références, qui auraient pu être de simples clins d’œil générationnels, sont refondues, amplifiées. Le film paraît hanté par les souvenirs d’enfance, par une époque où les ados consommaient clips et séries. Il y a là une mélancolie vive, un recyclage affectueux de la culture de masse.
On retrouve le cercle fidèle de la réalisatrice, avec Dustin Muchuvitz, Nana Benamer ou Raya Martigny, mais aussi de nouveaux visages comme Alma Jodorowsky, Asia Argento ou encore Drag Couenne, lauréate de la première saison de Drag Race Belgique. Cette diversité de présences concernées par la question queer fait naître une énergie collective. Le film respire l’enthousiasme des gens qui y participent.
Au centre, Gio Ventura insuffle une intensité. Dans ses moments chantés comme “Toi et moi, on baisera le patriarcat” ou “Damnée d’amour”, il dépasse la partition qu’on lui donne, éclipse Louiza Aura. Ventura donne au personnage de Billie une dimension tragique, attachante, entre burlesque et séduction.
Le film se transforme en avançant, devenant une fresque hantée par les images qu’il cite, par celles qu’il produit. À partir de la décennie 2010, le film glisse vers le registre du fantôme, du souvenir. En 2055, il se mue en pur espace mental. Il offre un final sublime : une utopie queer du vieillissement, où les artistes, vieilli·es, botoxé·es, se retrouvent, se pardonnent, se réinventent.


On aurait pu craindre un objet autocentré, trop codé, réservé à un milieu restreint. On aurait pu craindre un surdosage d’artifices ou une perte de sens dans les effets de style. Ce n’est pas le cas. Langlois ne cherche pas la prétention avec ses références. Elle les habite, les aime, les réinvente. Les Reines du drame regarde vers le noble et le bâtard, les images prestigieuses et celles méprisés. Un cinéma de la profanation créative, qui transforme le kitsch en puissance politique.
Langlois signe une œuvre personnelle, déjà culte, monstre, bigarrée, faite de fragments de culture pop et de cinéma d’auteur. Cela confirme qu’elle est l’une des réalisatrices à suivre du cinéma français.
Claire Jean