Le Salaire de la peur : légende du suspense

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Thomas Cordet

6/17/20253 min read

Qu’ont en commun le Porte-Guerre de Mad Max: Fury Road, la folie pétrolière de There Will Be Blood, le passager imprévu de Max Durocher dans Collateral, et le rythme haletant du Dunkerque de Christopher Nolan ? Vous l’aurez compris, c’est sûrement leur ancêtre commun : Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot. Le film vainqueur du Festival de Cannes de 1953 offre au cinéma français sa première Palme d’Or, et au monde entier un choc cinématographique aux rouages bien huilés.

Dès le départ, Le Salaire de la peur ne fait rien comme les autres. À Las Piedras, village brûlant et désolé d'Amérique du Sud, les personnages parlent français, anglais, espagnol, italien. Leurs destins se croisent au Corsario Negro, seul et unique bar et lieu de vie pour ces hommes en attente. La moindre opportunité pourrait les sortir de cette prison aride, dominée par les compagnies pétrolières américaines.

Pendant une heure, Clouzot construit une ambiance à part, faite de sourires et de misère, d'amis et de corruption, de gangsters et d'ex-gangsters, de séduction, de chansons. Mais un désastre survient dans un puits de pétrole de la Southern Oil Company à 500km de là, et les naufragés de Las Piedras y voient l'opportunité qu'ils attendaient.

Leur mission est terrifiante : transporter plusieurs tonnes de nitroglycérine par camion jusqu'au site de l'incendie. Ce liquide hautement explosif détonne à la moindre secousse, ou si la température des jerricanes dépasse 80°C (dans ce désert, un arrêt de quelques minutes suffit). C'est du suicide. Mais avec 2000 dollars à la clé, ils n'hésitent pas une seconde.

« Tu crois que t'es payé pour conduire un camion ? Pauvre bon, t'es payé pour avoir peur. T'as pas compris ? C'est ça la division du travail. Toi tu conduis pis moi je crève de peur. »

Le cauchemar commence alors. Une suite de situations à haut risque met le convoi à rude épreuve et teste les nerfs des conducteurs. Chaque péripétie est innovante, trépidante, le suspense est haletant. Une prouesse d'écriture. Bien que chaque protagoniste soit indispensable au voyage, le véritable noyau du film réside dans l'habitacle de Jo et Mario, amis en conflit. Leur dualité touchante rythme cette épopée, entre colère et dépendance, car ils ne peuvent compter sur personne d'autre qu'eux même.

Mais outre l'ingéniosité d'Henri-Georges Clouzot et la précision orchestrale de son angoisse, c'est bien le charisme du magnifique Yves Montand qui rend Le Salaire de la peur inoubliable. À 33 ans, il porte le film sur ses épaules, comme il porte son compère Charles Vanel, découragé, déserteur, jusqu'au bout du voyage. Une relation humaine au cœur du récit, noircie par la soif de pétrole des États-Unis, nouvelle puissance mondiale d'Après-guerre.

Le chef d'œuvre de Clouzot marque les esprits et livre une vraie leçon de tension au cinéma. Impossible d'en décrocher les yeux. Et 70 ans après, nombreux sont les films à emprunter la route qu'il a tracé.

Thomas Cordet