Le Ravissement' d'Iris Kaltenbäck

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Martin Cadot

10/25/20244 min read


Les faits divers offrent une source d’inspiration fertile aux réalisateurs contemporains, et Iris Kaltenback, jeune cinéaste française, en a fait le terreau de son premier long métrage, Le Ravissement, dévoilé en 2023 et largement acclamé lors de sa présentation à Cannes. Le film s'inspire d'une histoire vraie intrigante, celle d'une femme prétendant que l’enfant de sa meilleure amie était le sien. Lydia (Hafsia Herzi) est le personnage central de cette œuvre, une sage-femme que la solitude et la désillusion dévorent, après avoir été abandonnée par son compagnon. Son quotidien s’efface dans une routine harassante, entre son travail et de rares moments passés avec sa meilleure amie. Pourtant, son visage fermé, son regard voilé, révèlent un mal-être profond, exacerbé par l’indifférence de la ville où, malgré l’apparente liberté, les existences demeurent isolées et détachées. Lydia, quant à elle, se refuse aux stéréotypes : ni héroïne forte ni figure de faiblesse, elle évolue dans une zone grise, énigmatique. Kaltenback la dévoile par touches fines, tel un puzzle qui se construit lentement : son manteau rouge éclatant, sa froideur émotionnelle, qui ne s’efface qu’en présence des nouveau-nés, où un sourire fragile éclaire son visage, offrant un rare éclat de vie. Ce sourire devient le fil conducteur du film, symbole d'une intimité que Lydia ne partage avec personne d'autre. Lorsque la tentation de transgresser les règles morales surgit, elle franchit une ligne interdite, portée par le désir de se reconnecter à l’amour, à l’intimité, même dans une réalité où les conventions se dissolvent. La caméra, complice de ses faux pas, ne la quitte jamais, et le spectateur se retrouve entraîné dans cette tension, hésitant entre empathie et jugement moral, tout en étant fasciné par ce portrait troublant d’une femme qui, dans sa quête d’un bonheur fugace, défie les normes.


Dans Le Ravissement, le désir occupe une place essentielle. Kaltenback bouleverse les idées reçues et montre d’emblée que, bien qu’indispensable, l’amour échappe à toute logique. Quand le désir naît chez l’un, il ne trouve pas forcément d’écho chez l’autre. Alors, que faire ? Mentir, semble être la réponse. Les regards se croisent entre deux âmes qui se sont aimées le temps d’une nuit, sans se revoir ensuite, car lui ne désirait rien de plus. Ainsi, en s’installant, le mensonge donne naissance à une forme d’intimité inédite, laissant entrevoir une possible histoire d’amour, sans doute fugace et toxique, mais alimentée par la volonté de susciter le désir chez celui qui n’en a pas. Kaltenback ne nous incite ni à haïr ni à juger Lydia ; elle nous pousse à comprendre son désir, à espérer avec elle, car au fond, chaque être humain aspire à voir naître l’amour, même si celui-ci s’enracine dans le mensonge. Le désir se manifeste aussi dans ce profond désir de maternité, bien que fictif, dans cette illusion vouée à disparaître. Sa meilleure amie est éclipsée par la force de ce désir intense, celui de se sentir mère et aimée d’un homme. Le désir est-il alors porteur de toxicité ? Le désir pousse aux extrêmes, vers l’interdit. Mais ici, le film ne condamne pas ce désir ; au contraire, il le légitime.


Kaltenback nous plonge dans cette fuite en avant de mensonges, en privilégiant une mise en scène du silence, des non-dits, capturant les moments suspendus où tout se joue. Lydia entraîne le spectateur dans cette course sans fin, et la caméra, toujours à ses côtés, capte chaque émotion enfouie sous la surface de son visage, magnifiquement porté par Hafsia Herzi. Les rares instants de bonheur prennent des allures de petits jardins paradisiaques, mais leur éphémérité rappelle sans cesse la fragilité de ces moments.

Le film délivre une morale limpide : mentir, même pour un désir incertain ou passager, peut offrir une lueur d’espoir, un fragment de bonheur à un être en souffrance. Ici, l’amitié s’efface pour laisser place à l’amour, comme un contrepoint aux récits classiques où l’amitié sauve après une rupture. Kaltenback inverse cette dynamique : lorsque l’amitié s’éteint, l’amour trouve une brèche pour subsister. Avec une subtilité poignante, Le Ravissement maintient le spectateur en haleine, le surprend à chaque instant, et Lydia, dans sa course haletante, finit par trouver un souffle nouveau, une issue à sa quête désespérée.

Martin Cadot ( rédacteur Les éclats d'écran)







Copyright Mact Productions - Marianne Productions - JPG Films - BNP Paribas Pictures

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