L'Aventura (intérieure)
CRITIQUE NOUVEAUTÉS
Thomas Lignereux Ocana
7/14/20252 min read
Si A l'Abordage de Guillaume Brac transfigurait déjà l'été pour en faire une ode à la trivialité et aux désillusions que celle-ci induit, il laissait tout de même s'échapper quelques indices inhérents à la fiction, des ficelles de scénario.
Ici, Sophie Letourneur balaie d'un subtil revers toute idée de construction purement narrative. Les événements s'enchaînent mais ne se suivent que par l'écoulement naturel du temps et surtout les réminiscences multiples faites par la fille, Claudine, à sa mère, résumant chaque soir les faits des journées précédentes. Le récit s'imbriquant dans le récit fait subsister l'instant de vie.
La plus pure trivialité devient alors un fragment de cinéma riche puisqu'elle permet ici l'expression plurielle des points de vue et, par extension, s'associe avec une grande fluidité et sensibilité avec le désordre total que représentent ces moments de vacances.
C'est bien un maelstrom tant auditif que visuel qui s'abat sur les personnages des parents mais aussi sur nous spectateurs. La chaos de l'impuissance face à l'énergie inextinguible des enfants.
De la confusion naît alors le réel; les voix se chevauchent, se fondent entre elles, les corps aussi, la caméra en capte des fragments, parfois en mouvements, ou simplement inutiles, de simples détails. La frontière souvent troublante, voire gênante entre fiction et réalité – puisque paradoxalement un réalisme aigu, notamment dans le jeu, risque de nous paraître si familier que cela peut alors créer une véritable distance – s'estompe à mesure que le chaos organisé de la vie se déroule.




Letourneur déploie alors tout un dispositif profondément empathique peignant l'unicité et les aspérités humaines avec une justesse et précision assez rare. De cela se dégage un élément des plus complexes à exprimer, sans tomber dans le démonstratif : l'intériorité des personnages. Il est fascinant de voir comme la cinéaste s'empare de l'image et la précision des interactions intrafamiliales pour disséquer l'état d'un couple et laisser autant de place à la subjectivité de chaque partie, sans y laisser passer des pensées guindées dictées par une voix-off ou encore un jeu bien trop démonstratif.
Tout cela passe de fait par une fragmentation des corps et de l'espace, parfois jusqu'à la perte volontaire de repères, créant dès lors des espaces absolument inédits, possibles seulement par le biais de l'image cinématographique et ses pouvoirs de focalisation, de suggestion et d'omission.


Puis, finalement, alors que le soleil se couche, la rudesse de l'été, elle, s'en va, le temps simplement de se remémorer avec nostalgie la douce cruauté des vacances, que l'image fait ainsi persister avec clarté pour ne laisser qu'une source indélébile de joie.
Thomas Lignereux Ocana