Entretien avec Tiago Minamisawa : Kabuki

Traduit de l'anglais

CRITIQUE NOUVEAUTÉS

Ethel Bouleux

10/8/20258 min read

1. Présentez-vous.
Tiago Minamisawa est directeur de film d’animation. Kabuki est son troisième court-métrage, fait principalement en stop motion. Le premier étant Sangro, un succès dans tous les festivals et le deuxième Message Of An Endless Night, fait durant la grande pandémie du Covid-19. Sandro, c’est seulement 800$ de budget, sélectionné à la prestigieuse NSI. Après cette sélection, tous les autres festivals suivirent. Malheureusement, ce schéma ne s’est pas encore reproduit pour Kabuki.

2. Expliquez-moi le titre Kabuki ?
Le Kabuki (歌舞伎) est un art traditionnel originaire du Japon à l’époque d’Edo. C’est une forme de théâtre mettant en scène des acteurs reconnaissables par leurs maquillages et costumes hauts en couleurs. Cet art à été condamné aux femmes car il a rapidement été lié avec des scandales dans les maisons de prostitution. Dès 1630 le gouvernement interdit aux femmes de monter sur scène, leurs rôles sont joués exclusivement par des hommes.
Tiago veut également raconter l’histoire de quelqu’un qui est en quête de son identité, se battant contre l’oppression d’une société masculine.

3. Pourquoi mixer le style japonais avec un problème brésilien ?
Le réalisateur étant moitié Brésilien moitié Japonais, il a décidé de faire de ses origines le théâtre de sa créativité. Ayant grandi au Brésil, il n’a pas reçu réellement de culture japonaise, ce qui l’a poussé à chercher cette partie de lui qu’il ne comprenait pas.
C’est aussi une façon pour lui de raconter des choses importantes, difficiles à concevoir, mais d’une manière plus admissible. De plus, il existe une réelle communauté de Japonais au Brésil, qu’on explique due à une immigration économique dès les années 70. D’autres part, c’est durant le concert de la célèbre chanteuse trans Anohni, couplé de l’artiste Yoshito Ohno, grand chorégraphe et danseur japonais, Tiago est subjugué par le duo. C’est ainsi que germe l’idée de dessins japonais, mis en scène avec des marionnettes.

4. Qu'est ce qui vous a poussé à choisir ce sujet, la trans-identité ?
Ayant travaillé avec beaucoup de personnes trans, il a pu entendre diverses histoires. Ses collaborateurs parlent de leur passé douloureux, d’une vie de peur et d’épreuves. Le réalisateur prend conscience d’une communauté qui souffre, dans un pays qui est considéré comme l’un des plus meurtriers pour les transgenres.
Il confie « J’ai le pouvoir de faire des films et je me dois d’utiliser ce pouvoir pour changer la réalité. » Le réalisateur endosse la responsabilité de tous les artistes, visionnaires, ceux qui veulent un monde meilleur.

5. Quel était votre processus de création / recherche ?
Ayant cette volonté de réel avec le stop motion, Tiago décide de travailler avec une véritable actrice qui fait tous les mouvements en vrai, pour que le réalisateur et son équipe puisse ensuite les reproduire avec la marionnette. L’une de ses volontés étant d’avoir des mouvements réalistes.
Comme beaucoup d’œuvres cinématographiques, il passe par une phase de pré- production compliquée, qui le pousse à se documenter davantage et trouver des références visuelles. Parmi elles : le Bunraku (文楽), un théâtre de marionnettes à grande taille au Japon, le film Persona d’Ingmar Bergman et les clips du groupe Björk.

6. Quel est le message que vous voulez transmettre avec Kabuki ?
Kabuki est un court-métrage poignant, c’est une réalité malheureuse à laquelle beaucoup d’individus font face. Le réalisateur affirme que les gens doivent comprendre ce qu’il en est : le meurtre d’une personne est réel. Ce n’est pas juste des mots, une phrase dans les journaux, des images dans les films. On nous le répète tellement que finalement, cela devient une information innée sur laquelle on ne réfléchit plus. Il insiste, « C’est un humain que l’on tue. Sortez de votre zone de confort et constaté la réalité c’est un corps mort devant vous ». Il faut changer les préjugés et faire comprendre à la communauté trans qu’elle est représentée.
À la suite d’une projection de kabuki, une personne trans s’est adressée au réalisateur en le remerciant et lui avouant que beaucoup de personnes comme elle doivent porter des masques et trouver lequel porter. Lequel conviendrait à la société actuelle ?
Tiago fini en disant que « quelque chose me connecte aussi à ce projet, que c’est universel et que tout le monde devrait être connecté, en tant qu’humain ».

7. Parlez-moi plus amplement du sujet et du contenu presque expérimental de Kabuki
D’un point de vue narratif, le réalisateur choisis d’avoir une dualité entre théâtre et réalité, de cette façon il a un point de vue psychologique unique.
Esthétiquement, Tiago choisit d’avoir 2 dimensions dans Kabuki, le début du film qui s’ouvre sur le passé du personnage ainsi que les loups qui l’attaquent plus tard sont en 2D. Le reste, au présent, est du stop motion.
Dans une première partie de Kabuki, une femme représentée comme l’alter ego du personnage se reflète sur toutes les surfaces, c’est une projection qu’il a de lui-même. Beaucoup de transgenres ont des problèmes de dysmorphophobie, ils regardent dans le miroir mais ne s’y voient pas. Le personnage fuit cette réflection pour se réfugier dans les coulisses du théâtre qui représente le subconscient. C’est à partir de cet instant que le personnage va exprimer davantage ses émotions psychologiques.
C’est dans cette deuxième partie que les loups en 2D le mettent à mort, ils représentent la pression de la société, les critiques, le suicide, les meurtres... Le personnage est dans une sorte de spirale autodestructrice.
Tiago ajoute « Au Brésil ont dit que ‘The society suicide them’ (La société les suicide), on ne peut pas vivre avec cette énorme pression permanente».
Dans la troisième partie de kabuki, le personnage est dans la neige, ses cheveux poussent, et ce jusqu’à la fin. C’est une femme qui renait de ses cendres et devient un papillon, symbole même de transformation vers l’ultime beauté, « c’est la mort du passé, il lui fallait tuer l’homme qui était en elle ». Elle se libère et s’envole, littéralement, dans une danse florale poétique.
C’était important pour le réalisateur qu’elle ressuscite, car la mort est une réalité au Brésil et son rôle est de redonner de l’espoir. Il fallait qu’il dise à cette communauté qu’elle peut renaître et vivre enfin en tant que personne à part entière.

8. Avez-vous fait face à des complications après la production ?
Le film a eu du succès uniquement dans des sphères dédiées à une audience ouverte d’esprit, spécifiquement des festivals. Dans d’autres cas où le public était très masculin, avec beaucoup de préjugés, il y a eu des commentaires négatifs.
Kabuki n’a pas eu beaucoup de succès et de fonds d’aide en France, à cause du sujet, selon divers producteurs français.
À travers le monde, Kabuki a été rapidement et injustement placé dans des boites, étiquetées LGBTQ, ce qui a permis aux festivals d’affirmer avoir déjà un film de ce genre et donc de ne pas pouvoir recevoir celui-ci. Or, le film devrait être considéré comme à part entière et concourir dans toutes les catégories, « il faut qu’il aille partout pour connecter tout le monde. »

9. Pouvez-vous me parler de vos projets futurs ?
« Finir un film est un deuil » me répond Tiago qui a pensé à ce film de 2015 à 2019 puis qui l’a produit de 2019 à 2024. Pendant quatre mois, épuisé, il ressasse qu’il ne fera plus jamais de film. Lorsque le film est sorti, « J’étais en burn-out, je n’ai même pas pu ressentir de la gratitude ou de la joie. Il m’a fallu quelques mois pour retrouver la paix. »
Le plus décourageant était cherché les fonds - gérer le budget. Les films en stop motion sont difficiles à produire. Mais selon lui « Le cinéma dure toujours, donc si l’on fait des films, il faut avoir tout ce dont on a besoin pour le faire de notre façon, avec notre vision. Il faut faire exactement ce que l’on a dans la tête, sans penser à l’’argent ou au temps, pour être sincère et entier. »
Finalement, il revient sur ses pas et annonce son futur long-métrage d’animation, Hibakusha - Son of the Bomb sur quelqu’un qui a survécu aux bombes d’Hiroshima et qui retrouvent son état psychologique impacté dans sa vie adulte, des années plus tard. Pas de stop morion cette fois-ci, à moins d’avoir des fonds. Il parie sur une durée de production d’environ 5 ans.

L’avis de la rédactrice

Kabuki est un film très poétique sur un personnage qui se cherche, à travers ses reflets, derrière différents masques. Le court-métrage est authentique et original, mais au-delà de cela, c’est une histoire sincère et presque une mise en abyme.
Le réalisateur, comme son personnage, cherche ses origines. C’est quelqu’un qui est parti en quête de l’histoire et des arts de son pays pour se construire.
On y retrouve deux styles avec la 2d et le stop motion qui se mélangent parfaitement bien ensemble. Ils sont aussi très symboliques puisque dans un sens, on y voit une sorte d’évolution positive de l’un à l’autre. Le passage de quelque chose de très grossier avec des traits simples et bruts à une esthétique finie, pleinement harmonieuse. Tout comme l’ascension du personnage qui finit par se sentir complète et entière.

Le court-métrage a aussi la force de n’avoir aucune parole, ce qui renforce la beauté mystérieuse, presque intouchable de ces 12 minutes.
Comment exprimer sans dire ? Est-ce que finalement, on ne transmet pas plus sans mots ? C’est un véritable défi qui permet au corps - qui reste le sujet du film - de témoigner par lui-même à travers les gestes, les mimiques, les pensées dans les reflets.
Ce qui se passe est réel, même si les loups sont gigantesques, même si le personnage devient un papillon, tout semble plus vrai. Et ce jusqu’au carton noir final : Depuis 2015, plus de 1350 personnes trans ont été assassinées au Brésil.

Kabuki, c’est réalisé que ce personnage qui se travestit enfant, qui pour ça se fait violenté et réprime toute cette envie de vivre comme il le ressent, ce personnage est un porte- parole touchant d’une réalité poignante.

Si comme moi, la poésie et le lyrisme vous transpose dans une autre dimension, je vous conseille de vous laisser porter par la leçon d’humanité que promet Tiago Minamisawa.

Ethel Bouleux