Dwelling in the Fuchun Mountains : Un film au rythme de la nature.

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Manon Massène

7/22/20254 min read

Tout prend racine dans l’Eden de Fuchun, où nous découvrons une famille qui vit au rythme de la nature. Le récit germe du visage d'une vieille femme pendant sa fête d’anniversaire ; petit à petit, nous déchiffrons tant bien que mal ses quatre fils, aussi différents que les quatre saisons.

L’aîné est au sommet de la réussite familiale grâce à son commerce personnel; le second vit sur un bateau et travaille comme pêcheur, le troisième perd son argent aux jeux et le dernier refuse de quitter le nid à trente-six ans.

Gu Xiaogang ne nous laisse pas le choix. Il choisit des plans séquences pour nous mettre face au présent. Et parfois même, face à l'angoisse : un homme qui plonge puis nage pendant cinq minutes, à bout de souffle, tête à moitié dans l’eau et qui paraît presque se noyer à chaque inspiration. Le temps semble interminable et nous laisse nous, spectateurs, dans une apnée insupportable. Le rythme de la scène, même si anxiogène, est parfaitement maîtrisé et s'insinue doucement dans l'observation directe de l'action, comme si nous y étions.

Mais Gu Xiaogang ne choisit pas seulement la longueur et la pesanteur pour faire réagir. Les personnages sont écrits de sorte à ce qu'un dialogue entre l'ancienne et la nouvelle génération se mette en place. La tradition chinoise serait en danger selon certains, qui accusent les jeunes d'une paresse indéniable. Qui est légitime, qui sont les sages ici ? Les anciens qui triment et respectent la culture traditionnelle ? Les jeunes qui s'adaptent doucement à une nouvelle ère et qui époustent ces vieilles branches ?

Guxi, la jeune fille du fils aîné, désobéit à sa mère en se mariant avec un homme qui ne pourrait pas régler les dettes familiales. L'argent est un problème récurrent dans le film, et la narration est souvent axée sur la difficulté à sortir des dettes accumulées. On rencontre alors une faille dans le système : une faille presque irréparable entre les jeunes et les plus vieux, une faille culturelle.

Tous les thèmes choisis par le réalisateur sont étouffants, il nous coince dans tous les problèmes de notre époque. Mais malgré le fait que l’avidité et l’égoïsme de certains personnages soient épidémiques, le film reste très touchant. Les relations humaines sont joliment écrites et nous fait penser que même dans ce monde parfois indigeste, il est possible de prendre le temps et d'y voir des scènes de vie qui en valent la peine.

L’esthétisme immersif du film est réellement sensationnel. Certaines scènes chorégraphiées par le choix du plan séquence deviennent lyriques -on pense directement aux parapluies qui s’ouvrent et se ferment lors du braquage au restaurant du frère aîné-.

De plus, le son est admirablement bien géré, un subterfuge sur plusieurs séquences est amorcé : on rencontre une table de jeu et le son d’une conversation qui émerge, une conversation dont la provenance est extérieure au plan montré. On en découvre plus tard l’origine par un jeu de caméra qui déambule dans une autre pièce, une pirouette cinématographique originale qui réapparaît plusieurs fois et active l’incompréhension et la curiosité du spectateur.

Les plans séquences sont le fil rouge, comme si la Nature et le temps reprenaient directement contôle sur le film, quoi qu'on en fasse. La mère Nature pourrait d'ailleurs être métaphorisée dans le personnage de la grand-mère, qui veille comme un fantôme puis signe la fin du récit lors de sa mort, après sa dégradation au fil des saisons. Cette dernière erre tout au long du film avant d'être abandonnée comme une vieille plante dont on ne veut plus. Elle finira par mourir sur une barque au milieu du Lac. Comme l'eau du Gange, qui selon certains apporte vie et mort, donne et reprend, ce Lac là accueillera la vie à nouveau lorsque la petite-fille se mariera au même endroit. Une note de fin qui signe un renouveau et qui rejoint le rassemblement familial dont nous sommes témoins au début du film.

Cette histoire figée dans un eldorado chinois nous emporte finalement dans une expérience cinématographique immersive, dans un environnement culturel différent du nôtre. On s'y retrouve pourtant, tantôt dans la délicatesse des étreintes, tantôt les ruptures sentimentales, tantôt le chagrin du deuil. Comme eux, en subissant le temps, guidés par les saisons.

Manon Massène