David Lynch est mort. Hommage : un des plus grands poètes du cinéma s'en est allé

Yanko Nikitine-Didi

1/18/20253 min read

Sa famille l’annonce le 16 janvier 2025 au soir : "David Lynch is dead." David Lynch s'en est allé. L'un des plus grands cinéastes et l’un des plus grands rêveurs vient de nous quitter. Sa disparition laisse un vide irremplaçable dans le monde. Une nouvelle d’une immense tristesse, aussi surréaliste que ses films.

"On n'est pas obligé de comprendre pour aimer. Ce qu'il faut, c'est rêver."

Cinéaste incontournable au col de chemise toujours boutonné jusqu'en haut, au cinéma le moins consensuel et balisé qui soit, à rebours de tous les manuels du scénario hollywoodien, dans une quête infatigable du beau, il aura emprunté bien des routes mystérieuses, à l'instar de celle sur laquelle il se trouve désormais. David Lynch était un génie. Un vrai. Un artiste hors du commun. Réalisateur, scénariste, acteur, peintre, dessinateur, photographe, chanteur, musicien, illusionniste, poète, visionnaire, télévisionnaire... Un humaniste, aussi. Un esprit brillant, et drôle. David Lynch c'était ce cinéaste qui venait d'un autre monde, et qui avait réussi à le filmer. Ce cinéaste qui captait l'invisible, qui montrait que l'idée la plus simple, si elle était bien exécutée, fonctionnait.

David Lynch c’est aussi celui qui a réalisé, comme pour beaucoup je pense, mon film préféré. Je me souviendrais toute ma vie de ma séance de Mulholland Drive. C’était dans un tout petit cinéma de campagne, un week-end de terminale, que j’y suis allé avec ma mère. J’en sortais tremblant, complètement déphasé, liquéfié, assommé. Pour la première fois dans ma courte vie, je n’avais pas les mots. Au retour, la nuit et le brouillard s’abattait sur nous, comme si nous prenions à rebours la route Mulholland Drive. Après ça, il m'aura fallu plusieurs semaines, voire même des mois, pour m'en remettre. Dans l’histoire de ma cinéphilie, il y a eu un avant et un après Mulholland Drive. Après, mon rapport au cinéma n’aura plus jamais été le même. Lynch m’a ouvert à de nouveaux horizons, c’est celui qui m’a donné envie de faire du cinéma. Et je ne pourrai jamais assez le remercier pour ça.

Contes hallucinés, surréalisme transcendantal, vie rêvée, fantasmée, idéal exalté dans le moelleux d’un songe ; cauchemar sans limite d’une starlette de pacotille, vision noire et tourmentée du cinéma, mise en crise du male gaze (sans jamais tomber dans la complaisante perversion du voyeurisme)… L’œuvre de Lynch navigue en eaux troubles. Mélopées cyniques entre rêve et réalité, crimes passionnels et rédemption, où le rêve permet la sublimation, où la bande son, bourdonnante et céleste, aux vibrations mélodieuses, légères comme l’air, parachève les chromes d’une Amérique qui se mort la queue, transporte du côté du pays des merveilles. Ses films sont comme des impressions transies, des fantômes qui reviennent à la mémoire par lambeaux dorés. Son cinéma hante, obnubile, consume, envoûte… Comme lors du sublime et frénétique générique de Lost Highway, où résonne la chanson I’m Deranged de Bowie. Lynch et lui, nés et morts en janvier, enfin réunis aux confins de l'autoroute perdue...

Comme certains l'ont dit, Lynch nous a appris à maquiller la mort, à la conjurer, à la sublimer, à l'érotiser, à la thanatiser, à la crier, à la susurrer, mais jamais il n'a eu la prétention de nous apprendre à supporter la sienne. Il est parti (dans un Hollywood en flammes, the Fire Walking With Him), mais ses œuvres resteront, continueront d’hanter nos écrans, de nourrir notre imaginaire et d’inspirer tous ceux qui voient dans le cinéma un art capable de révéler l’indicible.

“I'll show you light now. It burns bright forever. No more blue tomorrows. You on high now, love.”

Yanko Nikitine-Didi