Critique: The Substance : un coup de poing signé Coralie Fargeat

CRITIQUE NOUVEAUTÉS

Thomas Cordet

11/21/20243 min read

Attention : la substance est une bombe. Un ovni, un choc cinématographique. Une fois gravée sur votre rétine, il y a de fortes chances pour qu'elle reste en vous pendant un long moment. Révolution du corps, transformation physique, horreur existentielle et explosion sensorielle, Coralie Fargeat, Demi Moore et Margaret Qualley présentent : The Substance.

Un nouveau vent féministe remue le cinéma. Fini les pincettes et les insinuations symboliques, cette fois, l'inconfort, la pression et la douleur imposée aux femmes nous est rejetée en plein visage. Armée de sa caméra, la réalisatrice française offre à ses actrices une pleine possession de l'écran, et par extension, de leur corps. Lors des deux premiers actes, avec son sulfureux “butt shot”, Coralie Fargeat pousse le vice à l'extrême et nous immerge dans un male-gaze des plus indigestes. Cet excès lubrique est exactement ce que The Substance dénonce, sans filtre, sans pitié. Montrer au monde entier l’obsession d'un système en lui plongeant le nez dedans : millième degré oblige, n'en déplaise aux premiers concernés.





Mais pourquoi s'arrêter là… La vengeance est trop savoureuse. Pour réduire cet empire de domination masculine en cendre une bonne fois pour toute, la descente aux enfers abandonne réalisme et cohérence pour délivrer le coup de grâce. Une violence viscérale et des visions hallucinatoires se succèdent dans cet acte final à la fois terrifiant et hilarant. En effet, l’horreur de The Substance réside dans la transformation forcée que doivent entreprendre les femmes pour plaire aux autres – aux hommes, donc. Pour Elizabeth, cette transformation devient obsessionnelle : elle est prête à tout pour devenir Sue. Mais ce système morbide est inexorablement destructeur. Alors, devant une rangée d’actionnaires vautrés aux côtés de l’excellent Dennis Quaid, incarnant l’allégorie machiste à la perfection, la monstruosité explose comme le produit difforme de cette société aliénante. La femme objectivée est morte, et comme dirait Cronenberg : “long live the new flesh”.

Outre le tour de force thématique, The Substance marque les esprits grâce à son esthétique et sa mise en scène. La photographie de Benjamin Kračun accompagne parfaitement le cauchemar paranoïaque et suffoquant de Coralie Fargeat. Des gros plans dérangeants, des couleurs saturées, des textures ultra détaillées… Chaque nouvelle scène possède son lot d'idées créatives permettant à la caméra de disséquer ses sujets sans échappatoire possible. Quant à la mise en scène, elle ne perd pas une seule occasion d'accentuer le malaise, ce schisme entre laideur et beauté, entre l'âge et la jeunesse, entre le cadre d’Elizabeth au mur et le panneau publicitaire de Sue à l’extérieur… Autrement dit, entre notre perception corrompue du corps et les standards obscènes dont la société raffole. Au cours du film, l’intérieur de l'appartement d’Elizabeth se transforme lui aussi, alternant entre perfection esthétique et pulsions morbides. Ajoutés à ça un montage hyperactif et une musique électronique vrombissante, l'atmosphère de The Substance transperce l'écran et pénètre les pores jusqu'au plus profond de notre être, comme une injection d'adrénaline en intra-veineuse.




Il faut le voir pour le croire. Écriture, production, effets spéciaux, doublure, montage : Coralie Fargeat a elle-même pris les choses en main pour construire The Substance comme un objet artistique personnel, le tout face au danger des collaborateurs les plus sceptiques. “J’étais comme la louve qui défend ses petits. Il y avait un côté animal, viscéral”, déclare-t-elle au média Lille La Nuit. Tiraillée entre les besoins budgétaires la contraignant à collaborer avec les anglo-saxons et la passion créative propre à nos artisans français, la réalisatrice a dû jouer des coudes pour rester en pleine possession de son film. Le résultat parle de lui-même : “Le fait de tourner en France, c'est ce qui a fait que j'ai pu faire The Substance, car les équipes sont hyper investies, elles font les films pour des bonnes raisons : ce sont des passionnés de cinéma.” Chers amis outre-atlantiques, le message est passé. The Substance se déguste sur le plus grand écran possible, avec le son le plus fort possible, les yeux rivés sur la démesure et la générosité du spectacle.


Thomas Cordet


The Substance” © Mubi Deutschland

The Substance” © Mubi Deutschland