Critique : Patagonia de Simone Bozzelli
CRITIQUE ANCIENS FILMS
Bertille Lucarain
2/18/20252 min read


Quitter à 20 ans sa morne et triste campagne pour suivre un clown itinérant pourrait prédire un road movie euphorisant, entre paillettes, fêtes et liberté. Ce n’est pourtant pas le voyage que nous invite à traverser Simone Bozzelli, dans son premier long-métrage mettant en scène la rencontre toute aussi ambigüe qu’intense que forgent Yuri (Andrea Fuorto), jeune garçon introverti présentant un déficit intellectuel, et Agostino (Augusto Mario Russi), électron libre tempétueux, clown animateur dans les fêtes d’anniversaires d’enfants.
Le coeur battant du film se laisse très vite entendre au travers de la relation qu’entretiennent les deux personnages, nourrie de fascination mutuelle, d’attirance, de désir, mais également de rapports malsains et pervers, une situation toxique, dans un environnement marginal aux allures presque apocalyptiques. C’est précisément ce climat constant d’ambivalence glauque qui permet à ce film de faire éclore des instants de tendresse d’une intensité et d’une sincérité déconcertantes.
L’image elle-même se place entièrement en une demi-teinte, ou plutôt une double teinte constante, saturée, alternant entre soleil cuisant du désert italien, nuit grouillante de raves parties, appel à une liberté absolue par de grands espaces et les montagnes tandis que le personnage principal reste confiné dans une caravane. Dans les trains de vie dépeints, sans règle, sans enjeux, sans cadre, sans motif, les âges disparaissent, brûlés par le feu.
L’interprétation brillante d’Andrea Fuorto nous fait apparaître un enfant dans un corps d’homme, traversé par des flammes d’attirance et d’aspiration confuses, tandis que l’excentricité d’Agostino nous le rend insaisissable, imprévisible, tout autant effrayant que fascinant. La singularité de la prise de vue se ressent en particulier dans la manière de Bozzelli de saisir les corps, avec une sensibilité nourrie de respect pour ses personnages qui lui permet d’aborder des scènes perverses et crues sans jugement, et souvent presque avec une tendresse qui pourrait gêner certains.
Car en effet, si le réalisateur traite avec merveille de la complexité d’une relation d’interdépendances malsaine, il peut sembler difficile de déceler avec certitude le reflet d’un point de vue tranché sur les sujets qu’il aborde, le désir amoureux, la précarité et l’isolement de groupes marginaux, la captivité et l’emprise toxique. Enfin, sur Bozzelli affirmait que “dans [s]on film, la substance la plus forte est l’amour”, son histoire est une fable désenchantée du fantasme déçu d’une liberté absolue.
Bertille Lucarain



