Critique : Paprika, le voyage à travers l'inconscient

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Ethel Bouleux

10/15/20253 min read

Le réalisateur Satoshi Kon est connu pour être un maître du montage et de l’animation. Ce film est presque comme son sacrement, il lui permet d’animer tout ce qui est dans sa tête, et en effet, on a vraiment l’impression d’y être.
Le film dure 1h30 et s’apparente à un voyage psychologique à travers l’esprit et les refoulements humains. On gratte comme on peut à travers leur inconscient, et particulièrement celui de Konakawa, un patient qui ne cesse de faire le même rêve, chaque nuit, avec un peu plus de détails et de précisions.

À l’origine, Paprika est tiré du livre de Yasutaka Tsutsui. Ce titre est à l’origine de l’aromate ; le rêve épice la réalité et lui confère une tout autre dimension.
Paprika, c’est aussi le personnage éponyme du film qui représente une sorte de fantasme, une femme avec une aura rouge et déroutante, symbole de désir.

Le film se déroule sur deux plans :

Le Dr. Atsuko Chiba est une scientifique de renom, elle donne vie au personnage de Paprika qui se matérialise et intervient dans les rêves des patients. Son collègue, l’immense Dr. Kosaku Tokita est l’inventeur de la DC Mini, un appareil qui s’introduit et enregistre ces rêves. C’est un concept thérapeutique révolutionnaire : soigner le psychique à la source.
D’un côté on nous raconte le vole de cette DC Mini, ce qui représente un grand danger, car elle permet de s’immiscer dans l’inconscient des gens, qui deviennent fous. Qui plus est, ouvre une faille où les rêves finissent par déborder et contaminent la réalité.

De l’autre côté, il y a une vraie réflexion sur l’origine de nos psychoses, de nos perversions et nos déséquilibres. Et ce sont spécifiquement ces fissures psychologiques qui nous poursuivent dans notre vie d’adulte.
Dans ce film, on ressent les émotions sans vraiment comprendre ce que l’on voit, comme dans un rêve. Sauf que là, le subconscient des personnages n’a plus rien de secret, ce sont leurs peurs, leurs fantasmes et leurs mémoires qui se pavanent aux yeux de tous.

Il y a également un grand travail sur l’identité avec ce qui fait un corps (Chiba) et ce qui fait une âme/subconscient (Paprika). Cette dualité est mise en place avec la symbolique du papillon, notamment lors du rapt de Paprika, les ailes clouées au sol. Ou encore de la fusions des deux antagonistes du film qui se transforment en une nuée de papillons bleus.

Ce film est d’ailleurs à l’origine de Inception (2010) de Christopher Nolan, sorti 4 ans plus tard. On y retrouve beaucoup de plans similaires, et de manière plus générale, le thème d’un objet révolutionnaire qui permet de brouiller la frontière rêve/réalité.
De la même manière, c’est ensuite Darren Aronofsky et son Black Swan (2010) qui se sont très largement inspiré de Perfect Blue (1997) de Satoshi Kon. L’histoire et une dizaine de plans sont exactement les mêmes. De même pour l’un des plans de Requiem for a Dream (2000). C’est l’influence mondiale du réalisateur et mangaka japonais.

Paprika est un film vertigineux qui nous fait douter nous-même de ce qui est de l’ordre du réel ou du rêve. Grâce à l’art de l’animation, le réalisateur efface les frontières et nous fait faire un gros saut dans le Jell-O qu’est le cerveau.
Au-delà de son amour pour la science-fiction, c’est aussi une manière de nous poser des questions sur la nouvelle technologie et ses dangers. C’est d’ailleurs le personnage de Paprika qui nous remet en question « Les rêves et Internet permettent d’exprimer ce que la conscience refoule, non ? ».

Si le film est une prouesse en avance sur son temps, il reste assez méconnu des Occidentaux. Et ce, sûrement pour sa grande liberté tant en termes de narration que de que d’animation. C'est un saut dans le vide, et on s’y jette la tête bouillonnante dans tous les sens, le corps mou et en pleine effervescence.

Ethel Bouleux