Critique: Morse de Tomas Alfredson

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Elouan Chovet

1/22/20253 min read

Dans un espace indéfini où la neige recouvre les traces de pas et de sang, les visages se mélangent et les frontières s'estompent.

Oskar, un garçon doux et solitaire de 12 ans, victime de harcèlement scolaire, trouve l'amour en la personne d'Eli, une fille à la beauté énigmatique mais singulière, dont l'arrivée coïncide avec une série de morts mystérieuses.

C'est dans cet univers morose que s'ouvre Morse, chef-d'œuvre de Tomas Alfredson. Réalisateur de comédies depuis vingt ans, le cinéaste suédois se lance ici dans un drame teinté de fantastique. Et c'est une totale réussite : en réutilisant les codes des films d'horreur des années 50, l'espace et le récit laissent cohabiter une réalité sombre et une fantaisie détachée.

Lorsque l’on imagine un vampire, il est facile de penser à un homme viril, d’un érotique sulfureux. C'est l'image que nous avons en tête, celle qui imprègne l'imaginaire collectif. Alfredson prend, quant à lui, un virage opposé en nous offrant une vision du vampire incarnée par une jeune fille de douze ans. Certes virile, elle n’est cependant jamais sexualisée. On découvre même qu'Eli ne possède pas d'organes génitaux. La relation entre les deux enfants est purement amicale, mais la question demeure : Comment cette relation évoluera-t-elle ? Car Oskar, impuissant, cherche constamment à acquérir du pouvoir, tandis qu'Eli recherche un descendant de Håkan (son valet). Plus tard, on découvrira qu’Eli condamne Oskar en lui permettant de goûter à son pouvoir sanglant, le libérant ainsi de ses tourments. Dans ces scènes de pure violence, Alfredson puise dans le cinéma des années 50, laissant la violence éclater dans l’hors champ. C'est dans ces hors champs que le surnaturel s’infiltre. De plus, cette violence s’immisce constamment dans la vie d’Oskar par des variations de mise au point qui diluent progressivement la brutalité dans son quotidien.

Alfredson semble obsédé par la notion de frontières dans son film. La limite évidente est celle de l'espace : Oskar et Eli sont voisins. Ils communiquent par morse, piégés à la fois physiquement et symboliquement. Oskar ne peut pénétrer l'univers d'Eli, car il est mortel. Cette incapacité est souvent marquée par de magnifiques surcadrages tout au long du film. Ces frontières sont également un clin d'œil aux limites infranchissables des mythes vampiriques. De plus, les frontières entre le dominant et le dominé sont constamment brouillées. Cela est particulièrement évident au début du film, lorsque l'on voit Oskar, un garçon frêle au teint pâle, dont les contours corporels sont flous. Il semble fantomatique et porte en lui une menace (il s'imagine menaçant avec son couteau). Mais, au fur et à mesure, on découvre que son rôle de dominateur est le résultat des agressions qu’il subit à l'école. Il est souvent dominé, et sa violence ne s’exprime qu’à travers Eli, qui vient le sauver. Dans leur relation, les rôles de dominant et dominé se renversent. Si l'on s'attendrait à ce qu'Oskar exerce une emprise sur Eli, c'est tout l'inverse qui se produit. Eli, très virile, avec sa voix grave et ses répliques cinglantes, se place en dominatrice dans leur rapport. Les frontières relationnelles sont ainsi constamment brouillées et inversées tout au long du film, ce qui constitue un véritable coup de génie : chaque repère s’effondre.

Un magnifique film sur l’adolescence et l'impact de la violence, probablement le chef-d'œuvre d'Alfredson, par sa douce poésie entre le réel et le surnaturel. Conçu comme un film muet, ses dialogues sont d'autant plus prétextes à l’onirisme.

Elouan Chovet

© Photo courtesy of Magnolia Pictures.

© Photo courtesy of Magnolia Pictures.