Critique : la Trilogie Before
CRITIQUE ANCIENS FILMS
Catherine Gonçalves
10/17/20256 min read
Il y a des films qui marquent les générations. Et ceux dont je vais vous parler commencent avec une idée toute simple : un homme rencontre une femme.
La trilogie Before est bien connue des cinéphiles et des amoureux de romance. Elle est unique puisqu’elle s’étend de 1995 à 2013, sur une période de dix-huit ans, avec neuf ans d’écart entre chaque film — dans la fiction comme dans la réalité. Les spectateurs assistent véritablement au passage du temps : on voit Jesse et Céline grandir, évoluer, s’aimer, se blesser parfois, sous nos yeux.
Cette fascination pour le temps qui passe est une thématique chère à son réalisateur Richard Linklater, déjà explorée dans Boyhood, tourné sur douze ans. Mais ce qui rend la trilogie Before aussi authentique et unique, c’est l’implication totale de ses deux acteurs, Ethan Hawke et Julie Delpy, dans le processus de création. Avec Linklater, ils forment un trio soudé, travaillant presque comme une troupe de théâtre : ils écrivent ensemble, marchent, répètent, testent les dialogues, cherchent le ton juste. Une véritable collaboration. À travers ces trois films, le cinéaste met en scène les effets multiples du temps sur un couple, mais aussi sur les acteurs eux-mêmes — sur leurs corps, leurs visages, leurs voix, leurs désirs.
« Le premier film parle de ce qui aurait pu être, le deuxième parle de ce qui aurait dû être, et le dernier de ce que c’est ». Cette citation d’Ethan Hawke va nous servir de fil conducteur à la compréhension de la trilogie. Chaque film devient un miroir d’une étape de la relation humaine.


Jesse et Céline se rencontrent dans un train. Une discussion s’engage, d’abord anodine, puis plus intime. Très vite, quelque chose se crée entre eux : un lien fragile, presque irréel. Avant de se séparer, Jesse demande à Céline de descendre avec lui pour passer les quelques heures qui le séparent de son vol du lendemain matin. Elle accepte. La magie commence alors.
Cette histoire, le réalisateur ne l’a pas inventé. Des années plus tôt, à Philadelphie, il avait lui aussi rencontré une jeune femme. Ils avaient passé la nuit entière à parler, marcher, sans qu’il ne puisse jamais la revoir. Il apprendra bien des années plus tard, après la sortie du deuxième film, que cette femme est morte, alors qu’il avait toujours espéré la retrouver un jour. C’est de ce souvenir qu’est né Before Sunrise.
Le film est surement le plus apprécié et le plus iconique des trois films. Céline et Jesse sont deux jeunes adultes en proies à des rêves, à des ambitions, à une envie de vivre et d’aimer. Ils vivent dans l’irréalité de ce qu’ils sont en train de vivre, portés par l’innocence encore présente en eux. Tout au long de la nuit qu’ils vont passer ensemble, ils tombent peu à peu amoureux sous nos yeux. Leur complicité nous surprend et l’alchimie entre les deux acteurs ajoute au charme du film.
La mise en scène, intime et juste, est au service du récit. Leurs déambulations dans Vienne et leurs discussions sont la véritable matière du film. Ces conversations, qui pourraient sembler légères, abordent pourtant la complexité de la vie humaine et des émotions qui traversent ces deux personnages. De nombreux thèmes surgissent : la religion, la mort, l’amour bien sûr, le destin... Le film alterne entre de long plans-séquence de pures conversations et des plans fixes où les deux s’observent et se regardent.
BEFORE SUNRISE
« What could be »
Vienne 1995.


La scène du music booth en est l’apogée : jamais un film n’a su représenter avec autant de justesse l’attraction naissante entre deux êtres. Leurs regards se croisent, se cherchent, se perdent. Tout se dit dans ce silence et par la musique qu’ils écoutent.
Leur séparation à la fin nous brise le cœur et laisse le film suspendu, entre espoir et mélancolie. Et nous, spectateurs, restons là, à rêver qu’ils se retrouvent, comme promis, six mois plus tard.


Neuf ans plus tard. Jesse est devenu écrivain et raconte, dans son roman, l’histoire de la nuit passée avec Céline. Lors d’une séance de dédicaces à Paris, elle réapparaît, ayant eu vent de son roman. Ils ne s’étaient pas revus depuis. Céline lui explique qu’elle n’avait pas pu venir à cause de la mort soudaine de sa grand-mère. Lui, pourtant, l’avait attendue.
Richard Linklater et ses deux collaborateurs réitèrent avec les mêmes fondements : une ville, les conversations de Jesse et Céline, un temps limité-celui qui précède le vol de Jesse- et leurs déambulations. Mais cette fois, le ton a changé. Leurs retrouvailles et leurs visages portent la marque du temps écoulé. Leurs discussions et leurs réflexions ont mûri depuis la dernière fois : ils ne sont plus totalement les mêmes. L’innocence a laissé place à une forme de désillusion, celle de la vie adulte et de ses compromis. Jesse, désormais père, est malheureux dans son mariage. Céline, de son côté, ne trouve pas non plus le bonheur auprès de l’homme avec qui elle vit. Tant de choses semblent désormais les empêcher de s’aimer. Pourtant, plus le temps passe, plus leur complicité renaît, indéniable.
Leurs conversations font remonter en eux le désir d’amour et de vie de leurs jeunes années, cette époque à Vienne où rien ne semblait impossible. Ils se souviennent avec nostalgie de ce moment, qu’ils n’ont jamais vraiment oublié, comme si depuis, ils leur été impossible d’être heureux, comme s’il leur avait depuis été impossible d’être pleinement heureux. Comme si quelque chose était resté là-bas, à Vienne, suspendu entre eux, et qu’ils le retrouvaient peu à peu.
Le cinéaste parvient à capturer la décennie qui vient de s’écouler : celle d’un amour qui persiste, mais désormais chargé de contraintes, de doutes et de choix à faire. Un amour qui cherche à durer au-delà d’une simple soirée. Une question plane alors, cette fois, va-t-il rester ?
Céline conclut le film par une phrase à la fois simple et bouleversante :
« Chéri, je pense que tu vas rater ton avion ».
BEFORE SUNSET
« What should be »


Dans ce dernier opus, Linklater réunit Jesse et Céline pour les confronter à l’épreuve du temps. Ce que Before Sunset amorçait, Before Midnight le confirme : la réalité du couple, passée la passion et la fougue.
Céline et Jesse sont désormais parents de deux petites filles. En Grèce, où ils passent leurs vacances, ils profitent d’une soirée à deux dans un hôtel pour se retrouver. Mais ce semblait devoir être une nuit d’amour se transforme peu à peu en moment de vérité. Des discussions sur l’avenir surgissent, de vieilles rancunes refont surface, de nouveaux désirs personnels émargent. Le couple se fissure. Que reste-t-il de cet amour, maintenant que la routine a pris le dessus ? Que reste -t-il de nos deux jeunes amoureux de Vienne ?
Cette fois, le cadre s’élargit. Le film ne se limite plus à l’intimité du duo : d’autres personnages apparaissent, partageant leurs réflexions sur le temps qui passe, la vie, l’amour, le couple. Dans Before Midnight, le réel l’emporte. Le romantisme s’efface, remplacé par une lucidité presque cruelle. C’est comme la fin d’une boucle : Céline confie a Jesse qu’elle ne voit plus les petits poils roux sur sa barbe, ces mêmes détails qui l’avaient autrefois fait tomber amoureuse. Le film nous laisse sans certitude quant à leur avenir. L’amour semble avoir changé de forme : moins innocent, moins magique, mais peut-être plus vrai.
BEFORE MIDNIGHT
« What it is »


Remplie de poésie, la trilogie Before est pour moi, celle qui raconte le mieux ce que représente l’amour romantique, et plus largement, le lien indélébile entre deux êtres. Elle est à la fois juste et complexe, comme la relation entre personnes passionnées et passionnantes. Ces films nous laissent avec des questions, des doutes, et des réflexions continuent de nous éveiller à la vie.
Et pour finir, une phrase de Céline dans Before Sunrise qui, à elle seule, résume toute l’âme de cette trilogie :
"I believe if there's any kind of god, it wouldn't be in any of us, not you or me, but just this little space in between."
Catherine Gonçalves