Critique : Hana-bi ou les fleurs de feu.

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Klara Benard

10/4/20256 min read

“L'humour, c'est comme la violence. Les deux vous prennent par surprise, et plus ils sont imprévisibles, mieux c'est.”

Hana-bi, réalisé en 1997, est une œuvre majeure de la longue filmographie du réalisateur Takeshi Kitano. Ce film est une exploration poétique et violente du deuil, de la culpabilité et de la recherche de la beauté dans un monde marqué par la souffrance. Comme souvent Takeshi Kitano lui-même y interprète le personnage principal.

Comme beaucoup de réalisateurs Takeshi Kitano puise son inspiration dans sa vie : élevé dans un quartier pauvre et violent de Tokyo par un père peintre et une mère femme au foyer, son œuvre est marquée par une éducation stricte mais baignée d’humour noir et piquant, qu’il a toujours mise en avant dans ses films. Il a d’ailleurs commencé sa carrière en tant qu’humoriste sous le pseudo “Beat Takeshi”.

En 1994, Kitano est victime d’un grave accident de moto qui le laisse partiellement paralysé du visage. Cet événement bouleverse sa vie et son art, l’amenant à explorer des thèmes plus introspectifs et sombres. Dans une interview Takeshi Kitano disait que son accident était probablement une tentative de suicide. Hana-bi nait juste après sa guérison, en 1997. C’est un film poétique et violent qui remportera de nombreux prix dont le Lion d’or au Festival de Venise. Il le propulse sur la scène internationale et marque un tournant dans sa carrière en tant que réalisateur de films d’auteur.

Horibe, cloué dans un fauteuil roulant après son accident, essaye de peindre pour trouver un sens à son existence. Cet élément est étroitement lié à la vie de Takeshi Kitano ; après son accident de scooter, il est entré dans un état dépressif, par peur d’avoir fini sa carrière. Il a donc commencé à dessiner et peindre pour essayer de se sortir de sa noirceur. Les tableaux de Horibe sont d’ailleurs peints par Kitano lui-même.

Ce sont des peintures naïves de fleurs et d’animaux, symbolisant une quête de beauté au milieu de la douleur. C’est aussi une forme de rédemption, une forme de thérapie à son deuil de ne plus jamais pouvoir marcher et vivre comme tout le monde. Cette expression artistique agit comme un contrepoids à la violence de Nishi. Les tableaux sont peints avec un style un peu enfantin, dont Takeshi Kitano dit qu’il « pourrait être affiché dans des toilettes d’écoles primaire » . Composés de métaphores fleuries et d’anges divins, aucun tableau n’est anodin, tous sont porteurs de sens et nous guident dans le déroulé de l’histoire.

Les silences et les langages visuels jouent énormément : Kitano utilise un montage lent qui nous permet pleinement de vivre les scènes et tout particulièrement les scènes de violences : il privilégie les plans fixes et une caméra souvent statique, amplifiant la tension émotionnelle dans chaque scène. Le montage, minimaliste, utilise des coupes abruptes qui brisent l’harmonie visuelle, entre calme et violence, donnant un aspect imprévisible au film.

Les personnages sont aussi assez complexes : Nishi est un personnage qui ne parle pas beaucoup et qui ne montre aucune émotion. Il incarne le type d’antihéros torturé et renfermé. En se tournant vers la violence, il essaie de protéger sa femme, mais aussi de se libérer de ses propres démons. Sa quête est moins celle de l’héroïsme que d’une forme de paix intérieure qu’il peine à atteindre, révélant ainsi une grande fragilité émotionnelle. Il est à la fois un homme violent et profondément brisé, incapable de verbaliser sa douleur. Kitano ne cherche pas à embellir ou à dramatiser la violence mais à la montrer telle qu’elle est : du sang rouge écarlate et des cris créant un sentiment d'effroi.

Dans ce film, Takeshi Kitano met en scène Yoshitaka Nishi, ancien inspecteur de police endetté auprès des Yakuzas qui le poursuivent. Son enfant est mort, sa femme est atteinte d’un cancer incurable et son collègue et ami Horibe est paralysé à la suite d’une fusillade dans le cadre d’une mission. Tout au long du film Nishi essaye de s’occuper de sa femme tout en essayant de vivre avec le poids de son passé morbide et la perte de son enfant.

Hana-bi signifie littéralement “fleurs de feu” (ou feux d’artifice en japonais), où la vie et la mort sont éphémères mais complémentaires. Les feux d’artifices symbolisent le caractère fugace de l’existence, où la beauté et la douleur coexistent dans une explosion lumineuse qui disparaît aussi vite qu’elle est apparue. Les scènes de violence, souvent soudaines, se mêlent à des moments de calme, permettant à Kitano de questionner la nature humaine.

La mort et le deuil sont étroitement liés et omniprésents dans le film, que ce soit à travers la maladie de la femme de Nishi ou la paralysie de Horibe. Nishi est constamment confronté à des pertes : celle de son enfant, de sa carrière, de sa relation avec son entourage. Tous ces éléments font de la vie un fardeau et de la mort un cadeau.

Nous ne pouvons, de plus, pas parler de Hana-bi sans mentionner l’incroyable travail du célèbre musicien-compositeur, Joe Hisaichi, ayant composé l’entièreté des bandes originales de Hana-bi mais aussi des autres films de Takeshi Kitano. Avec ses musiques devenues emblématiques, Joe Hisaichi a parfaitement réussi à embellir encore plus le film avec une bande-son exceptionnelle, mélancolique, apaisante et rédemptrice. La musique renforce la dualité entre violence et sérénité, entre douleur et apaisement, servant de fil conducteur pour l’âme tourmentée de Nishi.

En conclusion, Takeshi Kitano, avec Hana-bi et finalement l’ensemble de son œuvre, a profondément bouleversé le monde du cinéma japonais en introduisant une vision unique qui brisait les conventions narratives et esthétiques du cinéma nippon traditionnel et contemporain. Son approche cinématographique, marquée par un mélange de violence brute et de poésie silencieuse, a offert une nouvelle profondeur au genre du film policier et yakuza. Pourtant il se considère encore malgré tout comme un débutant et a confié lors de plusieurs interviews qu’il ne connaissait rien au cinéma.

Hana-bi est un chef d’œuvre marquant le cinéma du 20e siècle, où Kitano parvient à exprimer des émotions contradictoires en équilibrant brutalité et beauté, silence et violence. Ce film demeure une méditation poignante sur la douleur humaine, l’art comme échappatoire, et la fragilité de la vie.

Klara Benard

Le “comique tragique”, est un élément phare de la direction artistique, marquée dès la scène introductive du film qui reflète parfaitement l’envers du décor, l’absurdité du film et la violence « drôle » de Nishi. Cette scène nous montre deux travailleurs, nettoyant une voiture avec Nishi, qui les pousse violemment du pied à chaque fois qu’ils essayent de passer un coup d’éponge. Le silence est d’or ; aucune parole n’est prononcée, seul le bruit de l’éponge sur le pare-brise est audible.

Cette première scène est un exemple parfait de la patte artistique des films de Takeshi Kitano, faite de scènes souvent tragiques, où règne la vengeance et la mort mais où la vie et l’humour permettent de survoler ces douleurs humaines. Cette utilisation de l’absurdité par Takeshi Kitano lui permet d’ajouter une pointe d’humour à des scènes pourtant d’une violence inouïe.

La violence a une place particulière dans Hana-bi. Takeshi Kitano nous montre des scènes de violence soudaine alternées avec des moments de calme et de contemplation. Elle n’est jamais gratuite, c’est un moyen pour Kitano de questionner la nature humaine et de dévoiler les émotions enfouies. Le contraste entre les actes violents et les instants d’apaisement, comme dans la scène de la mer avec Horibe, est exacerbée par la manière de filmer rapide et brute. Tout cela crée une tension unique qui pousse à réfléchir sur la coexistence de la beauté et de la brutalité.