Crique : Good One de India Donaldson
CRITIQUE NOUVEAUTÉS
Mathilde Henry
12/4/20243 min read
La nature, la forêt, les rivières et les ballades champêtres sont souvent synonymes d’apaisement et d’émancipation. Dans les films, ces moments représentent généralement ce qui permet aux personnages de renouer un lien, de se retrouver dans un espace de paix. Mais il est peut-être pertinent de requestionner ce schéma. Et si cette nature pouvait être symptomatique non pas d’une émancipation mais bien d’un enfermement des personnages et de leur condition ? India Donaldson amène cette question dans son long-métrage Good One.
Sam est une jeune fille de 17 ans qui se construit et se découvre encore. Un week-end, elle accepte de suivre Chris, son père, et Matt, le meilleur ami de ce dernier, pour une randonnée de plusieurs jours dans les montagnes Catskills. Dès le début, le cadre est posé : les relations familiales des différents personnages sont compliquées. On sent que Chris, le père de Sam, exerce sur elle une certaine humiliation ; d’office, elle passe après tout. D’autres parts, Matt est en plein divorce et ne parvient pas à comprendre son fils qui semble très affecté de cette situation. Ce week-end familial en pleine nature apparaît alors comme le moment de réconciliation et de dénouement des différents problèmes.
Les remarques et regards des personnages, ainsi que les images (dont les gros plans et le flou d’arrière-plan omniprésent enferment et isolent les sujets décor), font monter la tension jusqu’aux 2 tiers du film où elle atteint son paroxysme. Enveloppés par la pénombre de la forêt, Sam et Matt discutent autour d’un feu de bois avant d’aller se coucher. A l’issue de cette longue scène, où la tension a eu le temps d’être installée par des plans très serrés, des regards, et des silences, Matt (50 ans) fait une remarque très déplacée à Sam (17 ans). Coup de massue pour le spectateur. Un silence très long s’en suit, accompagné du seul élément net à l’image : le regard de détresse de Sam. Le spectateur réalise alors que le film ne montrera pas la réconciliation d’une famille unie mais bien la violence des schémas de domination paternalistes propres à la famille.
Suite à ce moment, le film -ou plutôt le regard du spectateur sur le film- change radicalement. Tout ce qui était vu avant comme une tension éphémère, s’avère en réalité beaucoup plus profondément encré et chaque détail semble d’autant plus oppressant : le fait que Sam soit le seul personnage féminin finit par sauter aux yeux, les images sont filmées de manière à enfermer le regard du spectateur, traduisent une atmosphère pesante, si ce n’est étouffante. Et la nature elle-même prend une autre valeur. Si elle était signe d’émancipation, elle devient source d’isolement et d’angoisse. Ce décalage entre la nature, cette soi-disant intimité et les rapports de domination violents qui sont présentés renforcent le malaise du spectateur. La réappropriation des codes de la forêt, de la promenade ressourçante, pour en révéler les contradictions et la superficialité n’en est que plus pertinente.
Cette seconde partie du film permet donc au spectateur d’analyser et de saisir la violence de la domination que Sam subit. La réaction de son père lorsqu’elle lui explique la situation n’est qu’une humiliation de plus pour elle. Chris et Matt, à l’image des pères de famille, reproduisent des oppressions qu’ils semblent incapables de comprendre. A de nombreuses reprises, cette question précise de l’incompréhension des hommes sur ce qui les entoure revient.
Ce film fait donc la critique même de ce qu’on pensait qu’il serait : faire miroiter une famille unie grâce à une randonnée est ridicule. La violence systémique des relations intra-familiales rend impossible des rapports sains. Ce n’est pas une promenade en forêt qu’il faut, mais bien la remise en question des pères de famille, et de leurs comportements.
Mathilde Henry


Copyright International Pigeon Production
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