Ce vieux rêve qui bouge : Attraper la vie avant qu'elle ne s'en aille
CRITIQUE ANCIENS FILMS
Thomas Lignereux Ocana
2/24/20252 min read
Que pourraient chercher des ouvriers, las et parfois lascifs et qui est, de coutume, caractéristique de la bourgeoisie: un peu de paresse, vivre et prendre le temps de se rendre compte que l'on est bien vivant.
Ce vieux rêve qui bouge, c'est bien cela. Ces ouvriers, qui, à quelques jours du licenciement, se permettent d'errer, de se reposer, de boire, de désirer. Ce vieux rêve bouge tellement qu'il paraît insaisissable et chaque moment de répit semble durer à l'infini. Or ça n'est sûrement qu'illusoire, le rêve ne demeure jamais qu'un simple rêve. La perspective d'oisiveté n'est que temporaire et, surtout, ne sera sinon, par la suite, que le signe d'un rejet sociétal, puisque passant, pour certains, d'ouvriers usés et dévoués à de «simples» chômeurs, donc, odieusement, à des «parasites». Mais, comment retrouver du travail quand notre corps de 50 ans, en paraissant dix de plus, n'est plus convoité par l'inhumaine loi du marché ? Sans doute, l'on croit ensuite se reposer et puis l'on se laisse submerger par la fatalité, condamné à vivre sa tardive «retraite», souvent brève, comme une sorte d'exaspération de tous les maux, physiques et/ou mentaux, engendrés par la vie d'ouvrier.
Et, sous le mélancolique soleil déclinant, l'usine désertée et non-lieu de l'errance laisse se mouvoir les corps, devenus individualités, à leur guise, selon leur propre volonté, désormais vidée de son pouvoir coercitif et aliénant. Les ouvriers passent ça et là, occupent l'usine comme un lieu purement familier, voire familial, duquel ils sont toujours dépendants mais n'exigeant plus grand chose d'eux en retour. Ils s'approprient ainsi cet espace qui aurait toujours dû être le leur. Ainsi, l'utopie crépusculaire d'Alain Guiraudie n'est qu'humanité et dignité envers le monde prolétaire. Que font-ils tous - excepté le protagoniste Jacques - inactifs et presque fantomatiques ? Ils ne font que ce qu'ils méritent de faire: rien, du moins, ce qu'ils veulent. Ils ont déjà assez travaillé, maintenant ils doivent se laisser emporter par leur humanité primaire, longtemps marginalisée; se laisser envahir par l'ennui, l'apaisement, la tranquillité, la célébration, l'amour ou le désir. L'utopie est là, puisque, finalement, Louis (vieilli et épuisé par sa vie d'ouvrier) sera rejeté par le jeune et vigoureux Jacques et la relation de ce dernier avec Donand ne pourra par ailleurs jamais exister. Alors, il ne semble rester que le cinéma pour édifier, rendre hommage aux ouvriers et ouvrières qui, magnifié.e.s par la caméra, peuvent se donner l'espoir d'autre chose que le dur labeur.
Thomas Lignereux Ocana





