Alpha de Julia Ducournau : le nouveau film pas si monstrueux
CRITIQUE NOUVEAUTÉS
Marylou Tardieu
9/3/20253 min read
Ducournau est connue pour son body horror à en glacer le sang, mais ici elle signe un film un peu différent.
Alpha, une ado de 13 ans, incarnée par Mélissa Boros, est tatouée lors d’une soirée, avec une aiguille sale… Le problème est que le monde traverse une période fatale : un virus qui se transmet par le sang transforme les personnes atteintes en statues de pierre. La mère d’Alpha, soit Golshifteh Farahani, panique pour sa fille, et en même temps, elle voit son frère dont elle ne parle jamais revenir dans sa vie. L’oncle d’Alpha, Amin, est interprété par Tahar Rahim. Il est un toxico qui a du mal à lâcher. Cependant, il est surtout la figure d’un étranger qui devient très rapidement un repère pour Alpha, jusqu’à en devenir une échappatoire. Car dans ce film, Alpha s’émancipe de la figure maternelle.
Julia Ducournau s’exprime sur Radio France à ce sujet. Elle dit qu’elle peut envisager tuer le père, au sens figuré évidemment, mais que c’est impossible de tuer la mère. Tuer la mère reviendrait à se tuer aussi (métaphoriquement toujours). Car nous venons de la chair de la mère, alors cette dernière vivra toujours en nous-même, nous ne pouvons nous en défaire.
Dans le film, le lien mère-fille est abordé sous un prisme physique : au-delà d’être proches l’une de l’autre émotionnellement, elles ne font qu’une lorsqu’il s’agit de comprendre l’autre, de ressentir ou de voir comme elle. Mais Alpha est plus qu’une relation mère-fille fusionnelle, car un mal ronge cette proximité. Un traumatisme ressurgit, Amin, qui force Alpha et sa mère à adopter une nouvelle dynamique. Petit à petit, les rôles se bousculent jusqu’à se demander qui détient l’autorité dans ce trio. En réalité, chacun est un dur rappel de ce que l’autre aurait voulu oublier, ou souhaiterais faire différemment, par rapport à soi-même. Comment se libérer de ce qui nous hante ?
Et comment faire pour que les choses changent ? La réalisatrice fait s’opposer les personnages singuliers, mais également les individus et la société au sens large. Car autour de ce drame familial, c’est toute la société qui est perdue. Perdue car elle ne sait pas quoi faire, mais perdue aussi car elle choisit de ne rien faire différemment. C’est un constat assez dramatique que fait J. Ducournau : la peur fait périr. La société souffre du virus fatal depuis nombres d’années, mais aucune piste n’est étudiée pour l’en faire guérir. A la place, ce sont les jugements et le rejet qui sortent vainqueurs.
Ce monde rongé par la perte transforme chaque individu en l’ombre de leur peine. Il y a mutation de l’esprit. La peur les emprisonne. Puis, elle se morphe en colère. L’horreur se trouve là-dedans. Regards accusateurs, plaies ouvertes, soupirs, souvenir, vie, mort ; là est la tension que pose Julia Ducournau.
Certains pourraient être nostalgique de l’audace visuelle et sonore de Grave et Titane, mais je trouve qu’au contraire, la réalisatrice de la Palme d’Or 2021 est d’autant plus audacieuse lorsqu’elle arrive à nous faire questionner notre rapport au monde vivant, de façon crue toujours, mais au-delà des codes classiques du body horror. Je suis personnellement admirative de la puissance de l’œuvre dans son entièreté, qui m’a bouleversée. Les scènes sont traitées avec beaucoup de sensibilité. On voit qu’il y a une fusion entre l’intention de Julia D. et le jeu des actrices et acteurs. Il y a communion.
Pour terminer, sur les performances impressionnantes. Tahar Rahim est simplement à couper le souffle dans le rôle de Amin. Le soin du travail qu’il a effectué en amont ; sa transformation physique et sa recherche de proximité avec la vie d’addicts, transparait derrière son jeu. Il s’est à la fois mit dans la peau et dans la psyché de son personnage. Golshifteh Farahani délivre également une interprétation admirable grâce aux multiples rangs d’émotions qui composent son personnage. Et enfin, la révélation Mélissa Boros est d’autant plus percutante qu’elle donne un élan de vie et une bonté à une ado pourtant emplie de craintes, qui aurait pu se laisser périr.
Dans ce film où la fatalité est omnisciente, on reste quand même subjugué par la vitalité qui s’en dégage. C’est magnifique. Alpha n’est pas un film monstrueux, mais c’est bien une œuvre monstre. Bravo
Marylou Tardieu





