99 Francs : Cynique, immoral, un saut dans le vide sans parachute

CRITIQUE ANCIENS FILMS

Thomas Cordet

9/26/20253 min read

Prenez un peu du Loup de Wall Street, beaucoup de Fight Club et un soupçon de Las Vegas Parano, offrez à un Jean Dujardin en pleine ascension un rôle destructeur et jusqu’au-boutiste : vous obtenez 99 Francs, un film acerbe et délirant sur les rouages d’un géant de la publicité dans les années 2000.

Octave Parango est sur le toit du monde… littéralement. Son monde à lui s’appelle Ross & Witchcraft, agence de communication parisienne. Dans la pub, il a tout gagné : réputation, pognon, le compte est bon. Pourtant, il monte sur le toit un soir d’orage, et contemple le précipice. S’il tombe, ce n’est pas grave : la sensation de chute, il la connaît bien. Toute sa vie – c’est-à-dire, toute sa carrière – se résume à une longue chute libre dans l’engrenage incontrôlable de la débauche, de la destruction et de l’irresponsabilité. Alors ce soir, du haut de cet immeuble, Octave se dit que la chute ne sera pas sa première. Elle sera, par contre, certainement sa dernière. L’occasion de faire le bilan, pendant quelques secondes de libération, avant que tout s’arrête.

Rassurez-vous, je ne viens pas de vous spoiler 99 Francs, il s’agit uniquement de mon interprétation de la scène d’ouverture. Cette interprétation, bien sûr, ne m’est possible qu’après avoir fini le film. On y témoigne de la descente aux enfers d’Octave Parango, provoquée par la campagne de trop : un nouveau yaourt du groupe Madone, client particulièrement difficile. Aux antipodes de la créativité sauvage d’Octave, le géant des produits laitiers veut du conventionnel, veut du chiffre, veut parler à “la ménagère de 50 ans”. Cette censure de l’artiste, c’est la goutte de trop. La spirale infernale commence alors.

« Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas. »

Le film de Kounen est, lui aussi, un produit de consommation, et nous en sommes la cible ! Cette prise de conscience est le point de départ d’une œuvre transgressive, extrême et jubilatoire, tordant et exploitant le format cinématographique jusqu’à la rupture. Séquence en animation, noir et blanc, inserts publicitaires, juxtaposition, effets spéciaux : la démesure de Parango n’a aucune limite.

Oubliez le quatrième mur, vous faites partie de l’expérience ! 99 Francs est un film hors normes, vivant et interactif. Pas de début, pas de fin, seul un grand désordre à interpréter tel qu’il vient… à l’image de ce que voit Octave pendant sa chute. Son cerveau passe en revue ses choix un par un et les commente à voix haute, ou plutôt en voix off. D’abord Je, puis Tu, Il, Elle, et enfin Nous : chaque chapitre change de point de vue pour examiner la vie d’Octave Parango sous toutes ses coutures. Bien que le montage et la mise en scène se veuillent hyperactifs, ils conservent un sens aigu du détail, ne manquant pas une occasion de jouer avec notre perception pour brouiller les pistes du réel.

Psychédélique, d’une créativité sans nom, 99 Francs est un pur délice – si tant est que vous aimiez les satires bien piquantes à la Jean-Christophe Meurisse (Oranges sanguines, Les Pistolets en plastique). C’est un ovni extrémiste et cynique comme on en voit trop rarement dans le paysage français. Un pétage de plombs délivré par des acteurs au sommet de leur art et un réalisateur visiblement habité par l'œuvre originale, assez inspiré pour jongler avec les cadres, les formats et les effets spéciaux comme personne. Un trip en roue libre dans la machine infernale de la publicité, du consumérisme, du capitalisme... de la fin des temps, finalement.

Le duo Kounen Dujardin sera bientôt réuni dans les salles obscures avec L'Homme qui rétrécit, un absurde prometteur à la Dupieux qui s’annonce… mordant !

Thomas Cordet